Acta Endosc. (2014) 44:54-55 DOI 10.1007/s10190-013-0368-3
COMPTES-RENDUS DE CONGRÈS / CONGRESSES, CONFERENCES
UEGW 2013
Le dépistage du cancer colorectal en Europe : des pratiques toujours hétérogènes Colorectal cancer screening in Europe: practices are still heterogeneous P. Pienkowski © Springer-Verlag France 2013
Un symposium thématique [1] organisé dans le cadre de l’UEGW a permis de faire le point sur l’avancement et les résultats des programmes de dépistage du cancer colorectal (CCR) dans les principaux pays européens, en présence d’experts internationalement reconnus et leaders d’opinion dans leurs pays d’origine comme Nereo Segnan en Italie, Jaroslaw Regula en Pologne, Wendy Atkins au RoyaumeUni ou Jean Faivre en France. Un exposé introductif (Lawrence von Karsa, IARC-Lyon) rappelle les recommandations européennes en matière de dépistage, notamment la préférence à accorder aux programmes de dépistage organisés sur des bases populationnelles et les impératifs de contrôle et de qualité (pilotage, vérification, validation…). Il ne faut pas méconnaître toutefois les lourdeurs et la lenteur de mise en place de ces programmes qui nécessitent le plus souvent une phase pilote de trois à cinq ans et une période de rodage de cinq à dix ans avant d’être pleinement opérationnels. Ceci explique les grandes disparités de pratique au sein de l’Europe où le dépistage organisé est loin d’être universel. De ce point de vue, la stratégie américaine est très différente et privilégie le libre choix du moyen de dépistage pour favoriser la participation du plus grand nombre dans une optique pragmatique [2]. En Italie (Nereo Segnan), le test immunologique (FIT) est prédominant dans une majorité de régions (avec un gradient Nord-Sud). La population italienne cible est de 14,8 millions de personnes : 3,8 millions d’individus ont été sollicités en 2011 et 1,7 million dépisté soit un taux de participation moyen national de 47 % avec toutefois de grandes disparités territoriales. Le taux de positivité du test est de 5,2 % et les taux de détection du CCR et des polyadénomes avancés sont de 2,1 et 10 % respectivement. La rectosigmoïdoscopie (RSS) est optionnelle dans une dizaine de régions ; le taux de participation était de 24 % en 2011.
P. Pienkowski (*) Clinique du Pont de Chaume, F-82017 Montauban Cedex e-mail :
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L’Allemagne (Wolf Schmiegel) se distingue des autres grands pays européens par le choix de la coloscopie comme moyen de dépistage de première intention en population générale. Le schéma actuel, introduit en 2002, comprend un test fécal annuel (FOBT) entre 50 et 54 ans puis à partir de 55 ans (et sans limite d’âge) une coloscopie tous les dix ans, ou en cas de refus, un FOBT tous les deux ans. L’ensemble de la procédure est prise en charge par les organismes d’assurance maladie. Le dépistage « opportuniste », c’est-à-dire les coloscopies effectuées à titre individuel en dehors de toute invitation, seront prochainement incorporées au dépistage organisé. Le programme allemand accorde une grande importance à la qualité des coloscopies, à l’expertise des endoscopistes et à la centralisation des données (complétude des examens, résultats, complications). Les endoscopies sont effectuées sur 2100 sites par des hépatogastroentérologues, des internistes ou des chirurgiens dans respectivement 45, 45 et 10 % des cas. Fin 2008, 2,8 millions de coloscopies avaient été réalisées. Les résultats très encourageants ont été publiés récemment et une conférence de presse organisée en marge du congrès [3]. En Espagne (Francesco Balaguer), chaque grande région est autonome et les programmes indépendants, même si une coordination des résultats est organisée. La plupart des programmes reposent sur le FIT biannuel selon un schéma assez identique au schéma français, respectant les recommandations et critères de qualité européens. À ce jour, le dépistage organisé est effectif dans huit régions sur 17, principalement dans le centre et le nord-est du pays. La population cible nationale est de 10,3 millions d’individus. Le taux de participation moyen est de 45 % et le taux de positivité du test de 6,4 %. Le taux de détection des polyadénomes et du CCR sont de respectivement 27 % et 3,3 %. Au Royaume-Uni (Stephen Halloran remplaçant Wendy Atkins), le dépistage est organisé au niveau national depuis 2006 par le test Hemoccult™ classique biannuel avec une séquence initiale complexe de trois recueils de selles (Écosse : juillet 2007, Pays de Galles : octobre 2008, Irlande du Nord : 2010). Le pays est divisé en cinq zones organisationnelles ou Hubs avec pour chacune un centre de lecture des tests et de
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gestion et des centres de dépistage. La population cible correspondant à la tranche d’âge 60-74 ans n’est que de 7,7 millions d’individus. Le taux de participation global est de 61 %, assez stable dans le temps, et le taux de positivité est de 2 %. Le FIT, agréé en 2009, va être évalué dans deux Hubs courant 2014 (OC-sensor). Depuis 2010, après les travaux d’Atkins et la déclaration publique du premier ministre, David Cameron, la RSS est proposée dans six centres de dépistage depuis mars 2013 à partir de 55 ans (projet « Bowelscope »). En France (Jean Faivre), comme chacun sait, le dépistage organisé a été généralisé en 2009 à l’ensemble ce la population après plusieurs étapes et une décennie de préparation. Le taux de participation (de 42 % dans les 19 départements promoteurs) n’est plus aujourd’hui que de 32 % en moyenne nationale avec de très grandes disparités géographiques. La migration vers le test immunologique, régulièrement annoncé comme imminente, est toujours reportée malgré la mobilisation des professionnels… En Pologne (Jaroslaw Regula), un dépistage opportuniste par coloscopie est en cours depuis 2000 cumulant 300 000 coloscopies. À partir de 2012, ce programme est organisé et structuré avec priorité à la centralisation des données, au contrôle qualité et à la formation des endoscopistes. Le choix de cette méthode tient à sa simplicité (dépistage en un seul temps), son faible coût (100 € l’examen) et au peu d’enthousiasme des Polonais pour les tests fécaux. On assiste à une réduction modérée de la mortalité par CCR chez la femme depuis 2002 et chez l’homme depuis 2010. Cette évolution vers un dépistage organisé du type de celui instauré en Allemagne est contemporaine de la mise en place d’une large étude contrôlée randomisée multicentrique internationale sur la coloscopie (NordICC Trial) dont les résultats ne seront disponibles qu’en 2020. Les responsables polonais estiment avoir la capacité d’absorber quatre fois plus de coloscopies si nécessaire. Tous les grands pays d’Europe occidentale sont ainsi dans une dynamique de progrès en matière de dépistage organisé du CCR. L’Espagne et l’Italie mettent en place progressivement le test immunologique, le Royaume-Uni et l’Italie innovent avec l’introduction de la rectosigmoïdoscopie et en Allemagne, et plus récemment en Pologne, le dépistage organisé se structure autour de la coloscopie, et le dépistage « opportuniste » est progressivement intégré aux programmes. Dans les trois grands pays privilégiant le test fécal, les taux de participation sont de 45 % (Espagne), 47 % (Italie) et 61 % (UK). En Italie et au Royaume-Uni deux importantes études ont été conduites récemment sur la rectosigmoïdoscopie [4,5] ; une troisième, réalisée en Norvège, négative dans son analyse intermédiaire à sept ans vient d’être actualisée à l’UEGW avec des résultats positifs en termes d’incidence et de mortalité [6,7]. Deux grandes études contrôlées prospectives testant la coloscopie en dépistage populationnel sont en cours en Europe, celle de Quintero en Espagne, comparant coloscopie unique et FIT biannuel [8] et celle multicentrique coordonnée
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par Regula, comparant coloscopie vs surveillance (NordICC trial) [9]. Leurs résultats sont attendus pour 2020. En France, où le test Hemoccult™ est le fer de lance du dépistage du CCR en population, le taux de participation stagne à 32 % obérant l’efficacité du programme. Le passage au test immunologique, constamment reporté malgré sa validation par l’HAS dès 2008 puis les recommandations du plan cancer 2 et le rapport de l’INCa en 2011 sur les modalités de migration, est annoncé comme imminent mais les appels d’offre ne sont toujours pas finalisés… Dans son rapport préparatoire au plan cancer 3, le Pr Vernant préconise, au nom de l’égalité d’accès aux soins mais sans aucun argument scientifique, d’interdire la coloscopie dans le dépistage des individus à risque moyen. Cette approche étriquée et frileuse du dépistage d’un des cancers les plus fréquents est consternante sur le plan scientifique et contre-productive à terme sur le plan médico-économique. La prévention effective du CCR par l’exérèse des précurseurs et le dépistage précoce à un stade où la chirurgie suffit, sont les seuls moyens de réduire le recours aux chimiothérapies, pour les formes avancées, notamment métastatiques, dont le coût pour la société, à l’heure des biothérapies onéreuses, ne cessera de croître dans les années à venir, du seul fait du vieillissement de la population. Conflit d’intérêt l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.
Références 1. Stockbrügger R, Hull M. National societies symposium: colorectal cancer screening in Europe. UEGW 2013, Berlin. 2. Hoff G, Dominitz JA. Contrasting US and European approaches to colorectal cancer screening: which is the best? Gut 2010;59:407–14. 3. Pox CP, Altenhofen L, Brenner H, Theilmeier A, Von Stillfried D, Schmiegel W. Efficacy of a nationwide screening colonoscopy program for colorectal cancer. Gastroenterology 2012;142:1460–7. 4. Atkin WS, Edwards R, Kraij-Hans I, Wooldrage K, Hart AR, Northover JM, et al. Once-only flexible sigmoidoscopy screening in prevention of colorectal cancer: a multicenter randomized controlled trial. Lancet 2010;375:1624–33. 5. Segnan N, Armaroli P, Bonelli L, Risio M, Sciallero S, Zappa M, et al. Once-only sigmoidoscopy in colorectal cancer screening : follow-up of the Italian randomized controlled trial-SCORE. J Natl Cancer Inst 2011;103:1310–22. 6. Hoff G, Grotmol T, Skovlund E, Bretthauer M. Risk of colorectal cancer seven years after flexible sigmoidoscopy screening: randomised controlled trial. BMJ 2009;338:b1846. 7. Holme O, Loberg M, Kalager M, Bretthauer M, Aas E, Hoff G. Effect of flexible sigmoïdoscopy on incidence and mortality from colorectal cancer; first large-scale population-based study. United European Gastroenterology Journal 2013;1(1S):A69. 8. Quintero E, Castells A, Bujanda L, Cubiella J, Salas D, Lanas A et al. Colonoscopy versus fecal immunochemical testing in colorectal cancer screening. N Engl J Med 2012;366:697–706. 9. Kaminski MF, Bretthauser M, Zauber AG, Kuipers EJ, Adami HO, van Ballegooijen M. The NordICC Study: rationale and design of a randomized trial on colonoscopy screening for colorectal cancer. Endoscopy 2012;44:695–702.