European Journal of Population 6 (1990) 377-397 North-Holland
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PASSAGE A L'AGE ADULTE ET MOBILITE SPATIALE Fr6d6ric de C O N I N C K Eeole Nationale des Ponts et Chaussds, C E R T E S - Central IV, 1, rue Montaigne, 93 167 Noisy-le-Grand Cedex, France
Re~u le 2t novembre 1989; version finale revue te 6 avril 1990
R6sum6
de Coninck, F., 1990, Passage ~t l'fige adulte et mobilit6 spatiale, European Journal of Population/Revue Europ6enne de D6mographie 6, 377-397. A partir de donn6es longitudinales concernant deux cohortes de femmes habitant dans les Alpes-Maritimes en 1982 (6chantillon global de 1500 personnes), on cherche ~t construire le r61e du champ du possible spatial g un certain hombre de carrefours c16 du cycle de vie: mariage, naissance du premier enfant, valorisation du dipl6me, confrontation avec une situation de pr6carit6 professionnelle, mobilit6 professionnelle pendant les premieres ann6es suivant les 6tudes. L'hypoth6se sous-jacente h ce travail, est que la maltrise du social passe bien souvent par la maitrise du spatial. Abstract
de Coninck, F., 1990, Spatial mobility on reaching adult age (in French), European Journal of Population/Revue Europ6enne de D6mographie 6, 377-397. Starting with longitudinal data on two cohorts of women living in the Alpes-Maritimes in 1982 (a sample of 1,500 wonlen in total) we try to establish the role of the spatial distribution of opportunities at a number of key stages in the life cycle: marriage, birth of first child, making professional use of qualifications, confrontation of a situation of professional risk and professional mobility during the years immediately following the completion of studies. The underlying hypothesis is that control of social location often depends on the control of spatial location.
1. Introduction Les 6tudes sur la mobilit6 sociale se sont orient6es ces derni~res ann6es vers des approches plus d6taill6es. Le livre bilan Tel pore, tel 0168-6577/90/$03.50 © 1990 - Elsevier Science Publishers B.V. (North-Holland)
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ills? (Thetot, 1982) a dress6 un inventaire des grandes matrices de mobilit6 interg6n~rationnelles qui ont pu ~tre construites ~ partir des enqu~tes Formation qualification professionnelle (FQP). Mais ces matrices posent question dans deux directions diff6rentes. D'abord elles sont loin de se r6duire h leur diagonale : d6s tots comment rendre compte du fait que la reproduction sociale qui ici fonctionne, l~t 6choue? Ensuite comment rendre compte du poids de la diagonale lui-m~me? S'en tenir ~t l'existence de cette diagonale comme auto-explicative c'est en rester ~ une vision abstraite du social, or on gagne en intelligibilit~ en restituant le cheminement concret par lequel cette diagonale est produite. Ces deux questions convergent pour d6signer un objet de recherche qui soit centr6 sur les cheminements sociaux et leurs cadres concrets. L'article que l'on va lire s'est int6ress6 ~ la dimension spatiale des pratiques sociales, afin d'explorer une direction de ce n6cessaire travail de d~frichage. L'id6e que nous voudrions exposer est, en effet, qu'un certain hombre de d6terminations sociales se cristallisent dans ce que nous appelons le champ du possible spatial. Pouvoir ou ne pas pouvoir changer de lieu de r6sidence, ~tre oblig6 ou pouvoir 6viter de bouger, sont souvent des facteurs d6cisifs. La ma~trise du social passe par la ma3trise du spatial, c'est ce que nous voudrions montrer darts cet article. Formuler un tel projet suppose de se situer dans le courant de recherche qui consid6re comme essentiel de d6crire les pratiques sociales darts des cadres qui soient g leur 6chelle. Et pour commencer d~crire le dispositif qui sera le n6tre on rappellera que plusieurs auteurs ont insist6 sur l'importance de l'6chelon d'observation que l'on retient darts la construction d'une enqu~te en sciences sociales. Desrosi~res et Gollac (1982) ont insist6 sur reffet d'intelligibilit6 suppl6mentaire produit par la localisation des constats statistiques. Les statistiques nationales ne livrent, nous l'avons dit, que des corr61ations qui restent abstraites tant qu'on ne les a pas r6f6rdes 5 des processus concrets. Or ces processus ne sont bien souvent identifiables qu'h l'6chelon local. Baudelot (1983) a montr6 l'erreur de perspective que l'on faisait en 6tudiant les salaires h travers une suite de courbes transversales, sans reconstruire la carri~re salariale d'un individu donn6. Courgeau (1973) a soulign6 le caract~re insuffisant de l'information r6colt6e sur la mobilit6 r6sidentielle en prenant en compte uniquement la r6sidence aux dates de deux recensements successifs. Conna~tre les 6volutions
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professionnelles et familiales accompagnant la mobilit6 rrsidentielle est indispensable h la comprrhension de ce phrnomrne. Pour rrsumer l'ensemble de ces plaidoyers on dira que les grandes coupes transversales et nationales livrent des renseignements int&essants au titre d'une premirre approximation, mais que, les pratiques sociales se construisant dans le temps et darts l'espace, on ne peut gagner en intelligibilit6 qu'en leur donnant une forme spatiale et temporelle. Notre projet 6tant de rendre compte du poids social de la mMtrise du spatial, il 6tait naturel de s'int~resser h l'rpoque de l'existence off se produisent la majeure partie des clivages sociaux, h savoir le passage l'fige adulte. Et on voit bien ressortir ~t propos de cette 6poque la pertinence des remarques que nous rappelions ci-dessus. Car on peut dans un premier temps se contenter de corr41ations avant/aprrs, et tracer ce que l'on pourrait appeter des destins sociaux. Mais il importe de savoir le chemin qu'empruntent les individus avant de parvenir 5 ce point final, afin de dresser l'inventaire des 616ments qui vont peser effectivement sur ce 'destin'. Le G~-C~RCOM a r6alis6 de septembre 1986 h juin 1987 une enqu~te aupr6s de 1500 femmes habitant la zone Grasse-Cannes-Antibes. Cette enquire permettait de reconstruire les parcours r6sidenfels, familiaux et professionnels pendant la pdriode s'4tendant de la sortie de l'6cole ~ 27 arts, et ainsi de mieux d4crire les processus 5 l'oeuvre dans le passage h l'fige adulte. Nous nous sommes limit4s par aitleurs ~t l'observation de deux cohortes (constitu6es par les femmes n4es en 1947 et en 1959) s6par4es par les changements, d6j~ connus, des calendriers familiaux et professionnels, afin d'observer comment, dans deux contextes historiques diff6rents, s'op6raient les clivages sociaux. 1 I1 nous fallait donc donner une forme temporelle ~ ces transitions, afin d'observer le poids de la maltrise du spatial en ces instants. Nous avons alors privil6gi6 un angle d'attaque en nous int6ressant ~ un certain nombre de points de bifurcation et en observant en chaque point le r61e qu'y jouait la mobilit6 spatiale. Nous avons donc d6crit les parcours de vie de la sortie de t'4cole jusqu'h 27 ans (fige auquel on a consid&6 qu'une large part des enjeux professionnels et familiaux 6taient fix4s) comme une suite de carrefours clivant des populations en fonction de leurs caract6ristiques sociales. Nous nous sommes par t L a d e s c r i p t i o n pr&zise d e l ' e n q u & e se t r o u v e en annexe.
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ailleurs centrrs sur le calendrier professionnel, le calendrier familial venant constituer en son sein des points de bifurcation potentiels. Voici au reste les transitions c16 que nous avons retenues: le mariage, la naissance d'un enfant, la valorisation du diplrme, la survenue d'une prriode de prrcaritr, la comparaison entre le premier emploi stable et celui occup6/~ 27 ans. 2 Pour rrsumer notre propos disons que nous observerons les bifurcations se produisant aux points critiques que nous avons 6numrrrs, en pr&isant le rrle que joue en ces points le fait de pouvoir ou de devoir changer de lieu de rrsidence. C'est ainsi que nous verrons le poids du champ du possible spatial dans les pratiques sociales. En effet si le champ du possible spatial joue un rrle d&erminant, c'est bien en ces instants cruciaux que l'on doit l'observer. Dans ce texte nous limiterons la prise en compte du spatial 5 cette notion de champ du possible spatial; nous avons par ailleurs (de Coninck, 1989) pris en compte explicitement la dimension localisre, mais nous prrfrrons srrier les probl~mes. I1 faut dire en quelques mots nranmoins quelles sont les caract&istiques de la zone d'&ude retenue. Nous avions choisi d'interviewer des felnmes dans la mesure oCa elles drpendent plus du hors-travail dans leurs trajectoires de travail; mais l'inverse il 6tait important de srlectionner une zone off les possibilitrs d'activit6 frminine 6taient rrelles. La zone Grasse-Cannes-Antibes abritant un fort emploi tertiaire convenait ; l'importance particuli~re du tertiaire priv6 lui confrrait mdme un caract~re prospectif par rapport ~t l'ensemble de l'espace 6conomique fran~ais. Cette zone &ait identifire par I'INSEE comme un bassin d'emploi. En fait nous nous sommes aper~us que ce bassin se s@arait en trois sous-bassins relativement herm&iques entre eux. Cette zone prrsente deux avantages pour l'rtude de la mobilit6 r&identielle: d'abord c'est une zone de forte immigration, qui accueille donc de nombreux mrnages mobiles; ensuite c'est une zone o/a l'on peut facilement identifier des bassins d'emploi, et oil l'on peut doric distinguer tes drmrnagements de courte distance a priori peu lirs ~t l'emploi et les drmrnagements de longue distance. Cette distinction aurait 6t6 plus difficile dans une grande agglomrration 2 Cette demi~re transition peut para~tre de trop longue durre par comparaison aux autres. En fait si l'on observe les transitions professionnelles d'une prriode h la suivante (si t a n t e s t qu'il y ,tit plus d'un emploi) on s'aper~oit que ta corrdlation est trop forte pour que l'on puisse dessiner une &olution diff~rencire. I1 fant quelques annres pour que des diffrrences sensibles apparaissent. I1 a donc fallu 61argir la durre d'observation pour ce dernier point.
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urbaine o6 les deux motifs sont plus mOl6s vu l'6chelle des d6placements possibles. On pr6cisera au fil du texte l'6chelle de d6placement que l'on retiendra pour chaque cas; darts le cas off nous n'avons pas cherch6 de localisation pr6cise nous avons retenu le changement de d6partement de r6sidence comme un bon indicateur de changement de lieu de vie, dans la mesure off sauf cas particuliers il correspond effectivement ~t des r6seaux de sociabilit~ diff6rents. Maintenant, il faut ~tre prudent en passant de la mobilit6 r6sidentielle au champ du possible spatial. En effet cette mobilit6 peut ~tre signe h la fois de possibilit6 de se mouvoir, et d'obligation de se mouvoir. C'est au cas par cas qu'il nous appartiendra de trancher entre ces deux options. Mais, de toute fa~on, la question de fond est la m~me : quelles bifurcations se produisent h la convergence d'un 616ment c16 du cycle de vie et de la mobilit6 r6sidentielle, et ?~ travers ces bifurcations quel r61e joue le champ du possible spatial? C'est ce dont nous voudrions parler ~ pr6sent.
2. Premi6re approehe de la question Qu'il y ait un lien entre mobilit6 r6sidentielle et calendrier professionnel pour les femmes que nous avons 6tudi6es, le tableau 1 en fait foi. Nous avons dans un premier temps simplement interrog6 le rapprochement darts le temps (au plus t6t un an avant, au plus tard un an apr6s) du d6m6nagement et d'une rupture darts le calendrier professionnel. Par rupture nous entendons un arr~t d'activit6, ou le d6but d'une pdriode de ch6mage, ou le d6but d'une p6riode off aucune situation ne dure plus de six mois et que l'on a donc qualifi6e de p6riode d'instabilit&
Tableau 1 Part des personnes ayant d6m~nag6 au plut t6t un an avant, au plus tard un an apr6s l'6v6nernent perturbateur du cycle de vie professionnelle; Par g6n6ration. Ev~nement perturbateur
Arr~t d'activit6 D6but de ch6mage D~but d'instabilit~
Cohorte observ6e 1947
1959
65 % 45% 54%
62 % 50% 40%
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La corr61ation est tr~s forte (cf. tableau 1) et les chiffres sont ~t peu pr6s semblables pour les deux g6n6rations. Le d6m6nagement apparait comme une cause majeure de perturbation dans les cursus professionnels f6minins. Ce constat souffre n6anmoins quelques objections. D'abord le mariage s'accompagne presque toujours d'un d6m6nagement. D+s lors, est-ce le d6m6nagement qui provoque l'inactivit6, ou est-ce le mariage ? On peut faire une remarque du m~me ordre concernant la naissance d'un enfant, fr6quemment li6e ~ un d6m6nagement : est-ce l'enfant qui provoque l'inactivit6, ou le d~m6nagement qui provoquant l'inactivit6, permet la conception de l'enfant ? Ensuite, pour le chSmage et l'instabilit6, on peut se poser les questions suivantes : est-ce la mobitit6 qui provoque le ch8mage, ou est-ce le chSmage qui provoque la mobilit6? Pour faire face au chSmage, un recours naturel est de d6m6nager pour trouver un emploi ailleurs. On peut apporter un premier 616ment de r6ponse 5 ces objections. Sur les 685 d6m6nagements li~s ~t un passage h l'inactivit& -132 -206 -132 -215
sont li~s ~ un mariage, ~t un mariage et ~t la naissance d'un enfant, h la naissance d'un enfant, mais ne sont li6s ~t aucun 6v6nement familial.
Donc 31% (33% pour la premibre g6n6ration, 26% pour la seconde) au moins des d6m6nagements ont un effet propre sur l'inactivit6. De plus on ne peut exclure un effet de renforcement entre le mariage et le d6m6nagement, ou entre ta naissance d'un enfant et le d6m6nagement. Venons-en maintenant 5 l'examen au cas par cas des diff6rents 6v6nements pouvant marquer le calendrier professionnel.
3. Mariage et mobilit6 r6sidentieHe De nombreuses cessations d'activit6 voisinent donc un d6m6nagement, mais parmi ces d6m6nagements, 49% d'entre eux voisinent 6galement un mariage. On va d'abord restreindre les cas 6tudi6s en se limitant aux d6m6nagements impliquant un changement de lieu de vie, ce que l'on a rep6r6 ici par un changement de d6partement. Maintenant plut6t que de poser ces deux 6v6nements (mariage et changement de ddpartement) comme antagonistes, il est plus int6ressant de savoir s'ils
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100 -I"
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0 Date du mariago
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0
Fig. 1. 1947 : Influence du mariage sur le taux d'activit6 selon que Fon change de d6partement oll non au moment du mariage.
se renforcent Fun l'autre. En d'autres termes : un mariage occasionnant un changement de d@artement, va-t-il correspondre ~ une chute d'activit6 plus importante qu'un mariage local ? On peut le penser, dans la mesure off la conjonction d'une mauvaise mMtrise des r6seaux locaux d'embauche, jointe ~t la remise en question du cursus professionnel provoqu6e par le mariage, peut entra~ner une acc616ration de l'arrEt d'activit& D'un autre c6t6, on peut penser que plus on va chercher son conjoint loin, plus l'6ventail du choix sera large, et donc plus on aura l'occasion de s'allier avec un conjoint cadre ou 'profession interm6diaire' : si le champ des conjoints accessibles est plus vaste l'alliance sera plus hupp6e. Concernant le premier point, les figures 1 et 2 confirment pleinement l'hypoth6se d'un renforcement li6 5 la conjonction du d6m6nagement de longue distance et du mariage. Pour les deux g6n6rations l'6cart est sensible, cependant ce n'est pas le mariage en soi qui produit l'ensemble de l'6cart. Avant m~me le mariage, les femmes qui se marient 'loin' sont moins actives que les autres, m~me si le mariage accentue cet 6cart. En somme, l'inactivit6 facilite le mariage h 'longue distance', qui lni-m~me renforce l'inactivit6. Les deux 616ments concourent l'un ~t l'autre darts un processus unique. Par ailleurs le ph~nom+ne n'est pas exactement le m~me dans les deux g6n&ations. Pour la seconde l'6cart est beaucoup plus faible, et finit par se r6sorber au bout de deux ans (au bout de cinq ans, les deux groupes sont toujours sur la mEme ligne). Dans cette g6n6ration, on ne
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384 Taux d'activit~
100 %
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Mariagelocal / • '.
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Date du mariage
Fig. 2. 1959 : Influence du mariage sur le taux d'acfivit6 selon que l'on change de d~partement ou n o n au moment du mariage.
voit pas s'opposer deux modules de vie sur le long terme, mais plut6t des 6ch~anciers. Certaines femmes vont anticiper un arr~t d'activit6, travers un mariage ~ 'longue distance', mais apr~s un temps de latence de deux ans, les deux groupes se rejoignent. En revanche, pour la premi6re g6n6ration, au bout de deux ans, les deux populations sont toujours distinctes l'une de l'autre, m~me si l'on observe ~galement un effet d'anticipation li~ aux mariages 'lointains', qui stabilise rapidement l'activit6 ~t 60%, tandis que les femmes s'6tant mari6es sans changer de lieu de vie, continuent ~ s'arr~ter progressive° ment de travailler. Cependant les deux courbes ne vont passe rejoindre puisqu'au bout de 3 ans, l'activit6 des 'mariages proches', v a s e stabiliser 5 60%, tandis que les 'mariages lointains' se stabilisent ~t 55%. On observe donc, cette fois-ci une opposition de long terme, qui s'actualise travers cette distance parcourue au moment du mariage. Pour la seconde g6n6ration l'activit6 devient ta norme, et les choix initialement effectu6s ne portent pas de cons6quences ~ long terme. Pour la premiere, au contraire, des choix initiaux divergents, produisent des cursus d'activit6 diff6rents. Les femmes de la seconde g6n6ration apparaissent donc comme moins d6pendantes de leur conjoint. Voyons maintenent l'id6e selon laquelle les femmes ayant un large champ du possible vont r6aliser de 'meilleures' alliances que les autres. D'apr6s nos hypothases la distance parcourue au moment du mariage doit Etre corr616e avec la cat6gorie socio-professionnelle du conjoint. Naturellement, pour que cette comparaison ait un sens elle doit se faire
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385
Tableau 2 Cat6gorie socio-professionnelle du conjoint, et distance parcourue au moment du mariage par niveau de dipl6me de l'enqu~te. Changement de d6partement au moment du mariage
Pas de changement
Ecart
1947 Aucun dipl6me CEP ou BEPC a CAP ou BEP b Baccalaur6at Dipl6me sup~rieur
2,16 2,06 2,41 2,41 2,75
1,64 1,78 1,85 2,23 2,68
0,52 0,28 0,56 0,18 0,07
1959 Aucun diplbme CEP ou BEPC a CAP ou BEP b Baccalaur6at Dipl6me sup6rieur
1,89 1,88 2,33 2,33 2,50
1,54 1,72 1,76 2,07 2,49
0,35 0,16 0,57 0,16 0,01
a Cerfificat d'6tudes primaires ou brevet d'6tudes du premier cycle. b Certificat d'aptitude professionnelle ou brevet d'enseignement professionneL
niveau de dipl&me donn6. Pour simplifier la prdsentation, nous avons cot6 1 pour un conjoint ouvrier ou agriculteur, 2 pour un conjoint employ6, et 3 pour les autres conjoints, et nous avons calculd, pour chaque niveau de dip16me la moyenne de cette cotation, en fonction de la distance parcourue ~t l'occasion du mariage. Le chiffre en tui-m~me n'a aucun sens c'est la comparaison entre cat6gories qui est pertinente. Remarquons d'abord (cf. tableau 2) que pour tous les niveaux de dipl&me, pour les deux g6n6rations, les alliances matrimoniales sont d'autant 'meilleures' que l'espace que l'on a parcouru au moment du manage a 6t6 plus vaste. Cependant on remarque deux points. D'abord plus le niveau de dipl6me est 61ev6, plus l'6cart est r6duit. Pour des femmes poss6dant le Baccalaur6at, la distance parcourue au moment du mariage n'est pas d6cisive, elles poss~dent d'autres atouts et ce point n'est pas pour elles crucial. Pour les femmes peu dipl&m6es, en revanche, dont la d6pendance par rapport au local est forte, le fait de sortir, ou non, de son cercle d'origine est d6cisif. L~t o/a d'autres ont de toute mani~re la possibilit6 de sortir d'un cercle spatial restreint, pour ces femmes a priori enracin6es, la mobilisation de ressources 5 cette occasion va s'av~rer capital. Pour saisir l'enjeu crois6 de cette mobilit6
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F, de Coninck / Passage ?t l'~ge adulte et mobilitd spatiale
maritale, et de l'alliance matilmoniale, souvenons-nous, que ces femmes qui se marient au loin, sont 6galement celles qui, le plus souvent s'arr~tent de travailler au moment du mariage (au moins pour la premi6re g~n6ration), ce sont donc celles qui pr6cis6ment investissent davantage sur leur conjoint pour leur avenir social. Ceci nous conduit ~ la deuxi6me remarque sur ce tableau: les 6carts sont plus faibles pour la seconde g6n6ration que pour la premi6re, ce qui se comprend darts la mesure off nous avons vu que les femmes de la seconde g6n6ration 6taient moins d6pendantes de leur conjoint pour leur carri6re professionnelle. Pour elles la mobilit6 de longue distance au moment du mariage, synonyme de d6pendance par rapport au conjoint est moins ddcisive, et d'ailleurs elles y recourent beaucoup moins. 26% de femmes de la premiere g6n6ration changent de ddpartement de r6sidence ~ l'occasion de leur mailage, contre seulement 12% de la seconde. Pour tester la significativit6 globale de ce facteur, nous avons eu recours aux techniques de rdgression, en testant la d6pendance causale de la categorie socio-professionnelle du conjoint, par rapport au dipl6me de l'enquEt6 et ~ la distance parcourue au moment du mailage Au x~ du tableau 3 il se confirme que, pour les femmes de la seconde gdndration, le facteur li6 au changement de d6partement au m o m e n t du mariage, continue ~ jouer un r61e, mais d'une mani6re att6nu6e. Cela dit retenons l'id6e qui fait le joint entre les deux pistes que nous avons suivies : se mailer loin signifie se marier avec un conjoint mieux situ6 sur l'6chelle sociale, et s'arr~ter plus souvent de travailler. Se dessinent ainsi deux strat6gies diff6rentes: une strat6gie d'investissement sur soi-m0me conduisant ~ s'assurer de la p6rennit6 de ses rdseaux sociaux, et contraignant le mariage proche; et une strat6gie d'investissement sur le conjoint, conduisant ~t balayer un vaste espace, au risque Tableau 3 Probabilit6 de l'hypoth6se nulle 1947 Niveau de dipl6me Mobilit6 au moment du mariage
0,0001 0,0001
1959 Niveau de dipl6me Mobilit6 au moment du mariage
0,0001 0,0113
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de sacrifier ses rdseaux locaux propres. La premidre gdndration appara~t plus marqude par cette deuxi+me stratdgie que la seconde, ce qui c o n f r m e les remarques que nous avons ddjh pu faire sur ta moindre ddpendance de la seconde par rapport 5 un conjoint.
4. Naissanee d'un enfant et mobilit~ r6sidentieile
Concernant la naissance d'un enfant, nous pouvons raisonner d'une mani~re analogue ~ ce que nous avons dit 5 propos du mariage. Nous avons signal6 que sur les 685 ddmdnagements lids ~ un passage l'inactivit6, 338 (49%) dtaient dgalement lids h la naissance d'un enfant. 'Lid' signifie simplement que dans l'intervalle commen~ant un an avant et se terminant un an aprbs le passage 5 l'inactivit6, l'dvdnement 'liant' s'est produit. On peut se poser, dans ces cas 1~, la question de savoir si c'est le ddmdnagement ou la naissance qui a provoqu6 l'arr& d'activitd, mais on peut 6galement s'interroger sur leur renforcement 6ventuel. La naissance d'un enfant s'accompagnera-t-elle d'une plus forte part de passages ~ l'inactivitd si elle est accompagnde (toujours dans le mSme intervalle d'un an de part et d'autre) d'un ddmdnagement de longue distance ? Les fgures 3 et 4 tentent de r@ondre ~ cette question. Dans le cas de la premibre gdndration (fig. 3), on constate que les femmes qui vivent les deux 6vdnements de mani&e rapprochde, sent au ddpart moins actives que les autres. Cependant l'dcart va ,,~ite croitre:
Taux
80 %
d'activit~ 70 60 50
k
40 30
•
-'0
[
0 Date do naissance do l'enfant
Trimestres
Fig. 3. 1947:Acti~it6 et naissance d ' u n enfant smvant qu'il y a simultandit6 ou non, d ' u n ddm~nagement de longue distance.
b: de Coninck / Passage dt l'@,e adulte et mobilitd spatiale
388 Taux d'activit6
1O0, % 80
60
............
4o
~
~
"" d~m~nagement .............
20 -
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1 0
0
Trimestree
10
Date de naissance de I'enfant
Fig. 4, 1959:Acti~it6 et naissance d ' u n enfant suivant qu'it y a sirnultan6it6 ou non, d ' u n d6m6nagement de longue distance.
trois ans avant la naissance les taux d'activit6 des deux cat6gories diff6rent de 7%, trois mois apr~s la naissance la diff6rence est de 21%, et l'6cart reste de 12%, deux ans et demi apr+s la naissance. On met ici en 6vidence des trajectoires professionnelles bien sp6cifiques: regrouper dans le temps deux 6v6nements qui rendent difficile l'activit6, signifie s'inscrire dans une fili~re d'abandon durable du cursus professionnel. Sur la figure 4 on observe une v6ritable bifurcation pour la seconde g6n6ration. Avant la naissance les deux populations sont semblables. En revanche la naissance va ~tre v6cue de mani~re compl~tement diff6rente dans les deux cas. Elle ne produit que des am6nagements ~t la marge quand aucun changement de lieu de vie ne se produit en m~me temps. En revanche c'est une v6ritable rupture qui se produit, quand les deux 6v6nements sont rapproch6s l'un de l'autre. Pour les deux g6n~rations, on peut dire, que l'inscription r6sidentielle, vient renforcer les consequences du calendrier familial sur le calendrier professionnel. Le champ du possible professionnel, d6pend du cheminement r6sidentiel aussi bien que familial.
5. L'interface dipl6me-empioi Laissons de c6t6 maintenant le poids du calendrier familial sur le calendrier professionnel, et int6ressons-nous au calendrier profession-
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Tableau 4 Premier emploi obtenu en fonction de la mobilit~ en fin d'6tudes. Changement de d6partement ou de bassin d'emploi
Pas de changement
1947 Aucun dipl6me CEP ou BEPC CAP ou BEP Baccalaur6at Dipl6me sup6rieur
1,96 2,03 1,89 2,41 2,84
1,81 1,80 1,94 2,18 2,71
1959 Aucun dipl6me CEP ou BEPC CAP ou BEP Baccalaur6at Dipl~me supdrieur
1,90 2,00 1,87 2,29 2,74
1,76 2,00 1,86 2,12 2,48
nel en lui-m~me. Le premier moment de transition se situe ~t la fin des 6tudes, au moment de valoriser son dipl6me. On peut alors penser que la distance parcourue au moment de cette transition, est un facteur de meilleure valorisation du dipl6me. On peut supposer, en effet, que l'espace des emplois accessibles 5 la sortie des 6tudes, va permettre de trouver un meilleur travail h qualification scolaire 6gate, s'il est plus vaste. Ainsi pour les deux g6ndrations, pour chaque niveau de dipl6me, nous avons test6 la valorisation du dipl6me, 5 partir du m~me indice que pour les alliances matrimoniales (toujours afin de simplifier la pr6sentation des r6sultats), c'est-h-dire en calculant la moyenne d'un indicateur qui vaut 1 si le premier emploi stable obtenu est un emploi d'ouvribre, 2 pour un travail d'employ6e, et 3 pour un emploi de cadre, profession interm6diaire, ou ind6pendante. Nous avons pris en compte le lieu de r6sidence un an avant le d6but du calendrier professionnel, et un an apr6s, en comparant le d6partement (ou le bassin d'emploi au sein des Alpes-Maritimes 3). 3 La zone Grasse-Cannes-Antibes est, comme on l'a signal6, de fait sdpar6e en trois sous-zones quasi-herm6tiques. Changer de sous-zone revient ~ changer de march6 de l'emploi: on a doric assimil6 ce mouvement ~t un changement de d@artement.
390
F. de Coninck / Passage d l'age adulte et mobilitd spatiale
Tableau 5 Probabitit6 de l'hypoth+se nuUe pour la pr6diction de la cat6gorie socio-professionnelle
1947 Niveau de dipt6me Mobilit6 en fin d'&udes
0,0001 0,0001
1959 Niveau de diplSme Mobilit6 en fin d'&udes
0,0001 0,0001
En dehors d'un cas (cf. tableau 4), les femmes mobiles valorisent toujours mieux leur dipl6me que les autres. Cela dit les effectifs et les 6carts sont quelquefois faibles, il &ait donc logique d'dprouver cette relation, ~t l'aide d'une r6gression. Pour les deux g6n6rations, le r6sultat figurant dans le tableau 5 est tr6s probant : pouvoir se mouvoir facilement dans l'espace, h la fin de ses 6tudes, est un atout certain, pour pouvoir utiliser au maximum le dipl6me que l'on a obtenu.
6. Pr6earit6 et mobilit6 r6sidentielle
On peut poursuivre un raisonnement du m~me type, concernant le r61e que joue le changement de lieu de vie ~ l'occasion d'une p6riode de pr6carit6 4 professionnelle. Nous avons d6j~ signal6 que 49% des p6riodes de ch6mage, et 51% des p~riodes d'instabilit6, 6taient, soit pr6c6d6es, soit suivies, dans un d61ai d'un an maximum, par un d6m6nagement. I1 s'agit maintenant de savoir si la mobilit6 est une ressource efficace, une lois que l'on se trouve en situation pr6caire. Changer de lieu de r6sidence vat-il acc616rer la sortie de l'instabilit6 ou non ? Les figures 5 et 6 apportent une r6ponse positive ~t cette question, surtout pour la premibre g6n6ration. I1 est vrai que l'instabilit6 de cette 4 Nous d6signons par 'pr6carit6' une p6riode de chSmage ou de ce que nous avons nomm6 ci-dessus 'instabilit6', c'est ~ dire une phriode ofl aucune situation ne dure plus de six mois.
F. de Coninek / Passage ~ l'~ge adulte et mobilitd spatiale Pourcentage
391
,oO
de personnes toujours en situation de
40
pr~carit6
!
0
0
I
l
5
10
aos om.
I
Trlmestres
15
D~but de la situation de prdcarit~ Fig, 5. 1947 : Persistance de la pr6carit6 suivant que l'on d6m6nage ou non.
Pourcentage do personnes toujours en situation de
80
%
"
''
m
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60-
pr~carit~ 40" 20
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0
0
I
I
5
10
I
Trlmestres
15
D~but de la situation de pr~carit~ Fig. 6. 1959 : Persistance de la pr6carit6 suivant que l'on d6m6nage ou non.
g6n6ration intervient plus tard dans le cycle de vie 5 ~ une 6poque, off l'on peut penser, que la mobilit6 est plus difficile. Pr6cisons la construction de ces figures afin d'6viter des contresens. Nous avons examin6, au d6but de chaque trimestre, si la personne avait d6m6nag6 ou non. Les courbes ne repr6sentent donc pas les m~mes 5 Ceci tout simptement car l'enqu~te les conceme j u s q u ' h 39 arts. L'~ge m o y e n h la pr6carit6 est de 27 ans pour la premiere g6n6ration, et de 21 ans pour la seconde g6n6ration. N o u s sonunes alms au delh de 27 ans pour la premiere g6n6ration car les p6riodes de pr6carit6 ant6rieures h 27 ans y sont en tr~s faible hombre.
392
F. de Coninck / Passage gt l'dge adulte et mobilitd spatiale
individus du d6but ~ la fin, puisque d6s qu'une personne a d6m6nag6, elle entre dans le champ de la courbe des individus 'ayant d6m6nag6' et sort du champ de l'autre. Ainsi, par example, la remont6e du taux de pr6carit6 des femmes 'ayant d6m6nag6' pour la seconde g6n6ration, apr~s le premier trimestre, ne signifie pas que ces personnes ont connu une brusque remont6e de pr6carit6, mais clue de nombreuses personnes ont migr6 tout en restant en situation pr6caire, pendant le deuxi6me trimestre. Cela dit, m~me pour cette g6n6ration, la diff6rence est sensible. Elle est h son maximum au bout d'un an et demi: les personnes ayant d6m6nag6 ont alors un taux de pr6carit6 de 22%, celles qui habitent toujours l~t off elles habitaient initialement, ont, elles, un taux de pr6carit~ de 34%.
7. Mobilit~ professionnelle et mobilit~ r~sidentieile Interrogeons-nous ~ pr6sent sur le r61e que va jouer la mobilit6 de longue distance dans le calendfier professionnel. A long terme, en effet, on peut penser que parcourir un plus vaste espace est le signe d'un champ du possible plus 6tendu, et par t~t m~me un atout pour la mobilit6 professionnelle ascendante. Pour r6pondre ~ cette question, nous avons dress6 un tableau indiquant la part respective des femmes en ascension sociale, en descente sociale, et stables 6, suivant qu'elles avaient 6t6 mobiles ou non. Au vu des r6sultats il apparaissait que les femmes 6tant arriv6es dans la zone se comportaient de la m~me mani6re que celles qui avaient chang6 de commune au sein de la zone, elles s'opposaient toutes deux h celles qui n'avaient pas chang6 de commune de r6sidence depuis l'fige de quatorze ans. Nous avons donc regroup6 les deux cat6gofies qui pr6sentaient des r~sultats similaires pour faciliter la lecture des tableaux. Les r6sultats reproduits dans le tableau 6 sont surtout probants pour la premiere g6n6ration, et ils sont vrais pour routes les cat6gofies d'origine. Etre rest6 enracin6 dans sa commune d'origine, favorise la 6 Pour rendre compte de cette notion de 'mont6e' ou de 'descente', nous avons utilis6 la hi6rarchie suivante: d'abord tes ind6pendantes, cadres et professions interm6diaires, ensuite les employees de bureau du public, ensuite les employ6es de bureau du priv6, ensuite les employ6es de commerce, ensuite les employ6es des services directs aux particutiers, enfin les ouvri~res.
F. de Coninck / Passage ?t l'~ge adulte et mobilitd spatiale
393
Tableau 6 Evolution professionnelle des femmes, suivant leur mobilit6 r6sidentielle entre 14 ans et l'enqu~te. Ascension sociale
Stable
Descente sociale
1947 Ayant chang6 de commune de r~s. N'ayant pas chang~
33%
55%
11%
18%
67%
15%
1959 Ayant chang6 de commune de r~s. N'ayant pas chang6
20%
70%
9%
17%
69%
14%
descente sociate, et inhibe l'ascension sociale. Pour la seconde, les diff6rences sont t6nues, elles ne sont d'ailleurs par significatives. Le tableau par cat6gorie socio-professionnelle r6v~le d'ailleurs que le r6sultat est inverse de la moyenne pour la cat6gorie des employ6es des services directs aux particuliers. Parmi les s6dentaires 44% des femmes de cette cat6gorie ont obtenu un meilleur emploi suite au premier, ce qui n'est le cas que de 31% des immigrantes. Si on refait le tableau en excluant cette cat6gorie, on obtient cette fois-ci un 6cart significatif (tableau 7). L'6cart est significatif au seuil de 13%. I1 reste inf6rieur ~t celui de l'autre g6n6ration, mais il est vrai qu'il concerne une dur6e moins longue. 7 Reste la question de la cat6gorie des employ6es des services Tableau 7 Evolution professionnelle des femmes, suivant leur mobilit6 r6sidentielle entre 14 ans et l'enqu~te : 1959 (employ6es des services directs aux particuliers exclus).
Ayant chang6 de commune de r~s. N'ayant pas chang6
Ascension sociale
Stable
19%
72%
9%
13%
74%
14%
Descente sociale
7 Dans ce cas on est all6 6galement jusqu'fl 39 ans pour la premi+re g~ntration (fige au moment de l'enquEte), pour les raisons que nous avons dtj~ dites : la mobilit6 sociale en cours de vie active est trbs lente.
394
F. de Coninck / Passage h l'~ge adulte et mobilitd spatiale
Tableau 8 Pourcentage de mobiles, en fonction de la cat6gorie socio-professionnelle ~t l'enqu~te par g6ndration.
Cadres et assimil6es Employ4es du public Emp. de bureau du priv6 Employ6es de commerce Emp. des sere. dir. au part. Ourvri&es
1947
1959
83% 67% 71% 68% 71% 60%
64% 42% 45% 42% 57% 45%
directs aux particuliers. Pourquoi est-elle la seule ~t &re p6nalis6e par la mobilit6, et pourquoi seulement pour la g6n6ration la plus jeune ? Pour r6pondre 5 cette question examinons le pourcentage de mobiles, en fonction de la cat6gorie socio-professionnelle ~t l'enqu~te, pour chaque g6n6ration (tableau 8). La premi6re g6n6ration offre une hi6rarchie classique, les cadres sont nettement plus mobiles que le reste de la population, et les ouvri+res, nettement moins mobiles, les employ6es formant un paquet homog+ne. La situation est la m~me pour les femmes de la seconde g6n6ration, raises h part les ouvri~res, qui rejoignent le paquet des employ6es, et surtout la cat6gorie des employ6es des services directs aux particuliers, nettement plus mobile que l'ensemble des employ6es. Cette population 6tant caract6ris6e par des emplois plut6t non qualifi6s, la seule explication possible 5 sa plus forte mobilit6 est qu'elle est contrainte: la pr6carit6 de leur situation les y oblige. D+s lors s'explique la particularit6 des employ6es des services directs aux particuliers de la seconde g6n6ration. Alors que pour les autres, la mobilit6 r6sidentielle, sur le long terme, est plut6t un facteur positif: pour elles la mobilit6, plus souvent subie que choisie, plus souvent 'en catastrophe' que promotionnelle, ne se traduit pas par de l'ascension sociale. Encore une lois, le changement de lieu peut ~tre le signe d'une bonne ma2trise de l'espace, ou au contraire d'une contrainte locale, li6e h l'espace de d6part. 8. Conclusion
Nous avons donc construit ta vie professionnelle comme une s~rie de carrefours. La valorisation du dipl6me, la gestion des situations de
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prdcaritd, la lente mobilit6 jusqu'/~ 27 ans, les arbitrages familiaux l'occasion du mariage ou de la naissance d'un enfant. Tous ces carrefours prodtfisent des clivages dans l'espace social. Nous disions en t~te de cet article que la ma~trise du social passait entre autres par la mMtrise du spatial. A chacun de ces carrefours nous avons not6 le r61e crucial que jouait la mobilit6 rdsidentielle. Pouvoir ou ne pas pouvoir changer de lieu de vie. Devoir ou pouvoir 6viter de le faire, autant d'enjeux qui nous ont permis de mieux ddcrire ce qui se passe autour de la naissance des lignes de fracture de l'espace social. Pour revenir enfin sur la question de la mobilit6 sociale on voit bien, rdtrospectivement, en quoi la mobilit6 spatiale permet tout ~t la lois de comprendre ce que nous appelions en tEte de cet article 'le poids de la diagonale' et ce qui sort de cette diagonale. Le champ du possible spatial dessine des clivages qui permettent de rendre compte de la reproduction de l'espace social. Les cadres ont un champ du possible plus 6tendu que les ouvriers, c'est un des 6Mments qui leur permet de se reproduire en tant que groupe social. Par ailleurs, au sein de chaque groupe social, ce champ du possible diffdrentiel produit des bifurcations ddcisives, h l'occasion des 6vdnements-carrefours du cursus professionnel. Un mEme pass6 professionnel, un mEme pass6 scolaire vont ddboucher sur des avenirs diffdrents modulds par l'extension des possibles rdsidentiels. Le destin social n'est qu'une suite de processus au sein desquels on a mis en 6vidence la mani~re dont la ma~trise du social passe par la mMtrise du spatial.
Annexc EnquOte sur les transJbrmations des calendriers de passage a la vie adulte aupr~s de deux cohortes de femmes des Alpes Maritimes
Cette enqu~te a dt6 con~ue en 1984 et 1985 par le GERM-CERCOM (URA du CNRS D0377). L'dquipe est composde de Thierry B16ss, Paul Bouffartigue, Richard Cagnasso, Alain Chenu, Paul Cuturello, Frdddric de Coninck, Alain Frickey, Jean-Rend Pendafies sous la direction scientifique de Francis Godard (secrdtariat : Josde Darrieumerlou). L'enqu~te a bdndfici6 de la participation du Service des Etudes de la Direction Rdgionale Provence Alpes C6te d'Azur de I'INS~E (dans la phase de tirage de l'dchantillon). La conception de l'exploitation informatique est due ~t F. de Coninck. Le financement a dtd assurd par le programme PIRrrEM du CNRS et par le Minist~re de la Recherche (Programme X~X). La zone d'enqu&e est constitute par l'agglomdration de
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F. de Coninek / Passage dt l'age adulte et mobilitd spatiale
Cannes, Grasse et Antibes, ainsi que leur banlieue. 1500 femmes appartenant ~ deux cohortes, n6es en 1947 et en 1959, ont 6t6 interrog~es. Cette enqu&e r6unit quatre caract&istiques principales: elle est transversale (elle articule des 616ments relevant principalement de trois grands champs de pratique: la formation et l'emploi, la famille, le logement), longitudinale (elle analyse les calendriers de passage ~ l'6tat adulte et les cycles de vie), interg6ndrationnelte (les deux cohortes interrog6es sont s6par6es de 12 ann6es), localisde (ta zone d'enqu&e correspond/t un bassin d'emploi, lequel fait par ailleurs l'objet d'investigations sp6cifiques). L'approche longitudinale des rapports entre famille, emploi et modes de vie est au centre des travaux du GERM. Une enqu~te transversale et longitudinale Le questionnaire comprend deux parties distinctes : la premibre d6crit la constellation familiale de l'enqu&e, son histoire scolaire et de sant6; la seconde permet la reconstitution des calendriers r&identiels et familiaux (~ partir de ta fin de ta scolarit6 secondaire), ainsi que du calendrier professionnel du conjoint. Les calendriers r~sidentiels, familiaux et professionnels de l'enqu~t~e, ainsi que le calendrier d'activit6 du conjoint, sont tous d6coup& en s6quences temporelles minimales d'un trimestre. Chaque p6riode est ainsi renseign6e en termes de dates et de contenu. Pour le calendrier d'occupation tes p~riodes de moins de six mois sont d6finies comme p6fiodes 'd'instabilit6', et font l'objet d'un questionnement plus sormnaire que les p6riodes de plus de six mois. Une enqu~te intergdndrationnelle Les deux cohortes ont 6t6 choisies sur la base du rep&age d'un certain nombre d'inflexions dans les mouvements d6mographiques et 6conomiques. Faute de pouvoir comparer, pour des raisons mat6rielles, les trois g6n6rations correspondant aux trois grandes p6riodes de socialisation de la jeunesse qui, par hypoth&e, se sont succ6d6es depuis la seconde guerre mondiale (jusqu'en 1963-1965, puis jusqu'en 1973-1975, et enfin depuis 1973-1975), nous n'avons retenu que les deux derni+res g6n6rations: - celle n~e du 'baby-boom' qui inangure, notamment, l'inscription plus continue des femmes darts l'activit6 et l'emploi tertiaire, et le recul de la f6condit6 et de la nuptialit6 ; - celle de 'la crise' qui poursuit les m~mes evolutions de l'activit6 f6minine et de la d6mographie, tout en exp6rimentant une pr6carit6 et une flexibilit~ accrues. La cohorte n6e en 1947 avait 16 ans en 1963, elle repr&ente la g6n6ration du 'baby-boom', l'autre g~n&ation est repr&ent6e par la cohorte n6e en 1959, elle avait 16 a n s e n 1977. Ce d6coupage r6sulte d'un compromis : la cohorte la plus jeune devait &re suffisamment r6cente pour avoir connu la pr6carisation de l'emploi, mais suffisamment ~g6e pour avoir r6alis6 l'essentiel des passages au statut d'adulte; la plus ancienne devait ~tre la plus 61oign6e possible de la plus jetme, tout ell ayant appartenu aux cohortes de l'apr& guerre et particip~ aux infl~chissements 6conomiques et d6mographiques de 1962-1964.
F. de Conmck / Passage d l'6ge adulte et mobilitd spatiale
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Une enqu~te localisde Les trajectoires sociales et les cheminements individuels d'installation dans la vie adulte sont prtform~s structurellement, n o t a m m e n t par les 6volutions localistes de l'emploi, et des conditions d'existence: nous avons doric choisi de travailter sur u n bassin local d'emploi. Celui que nous avons choisi accentue la plupart des carat&istiques socio-tconomiques de la rtgion Provence-Alpes-Ctte d'Azur : secteur secondaire faible et peu dynamisant, activit6 61evte dans la construction et les services, intense urbanisation, et forte croissance dtmographique par immigration d'origine essentiellement m&ropolitaine. L'emptoi ftmirfin est domin6 par Ies activitts dmas les commerces et tes services marchands (httellerie, sant6, services aux entreprises... ). La construction de l'&'hantillon Le rtle moteur des pratiques ftminines dans les transformations sociales vis~es, nous a aments fi enqu~ter une population de femmes, et ~ choisir un bassin d'emploi tertiaire, significatif du dtveloppement de l'activit~ ftminine. L'tchantillon a 6t6 tir6 h partir des fiches du recensement de la population r6sidant en 1982 sur la zone d'enqu&e. 1487 femmes ont 6t6 interrogtes. La calage de cet 6chantillon sur les donntes issues du recensement indique une 16g~re sur-reprtsentation de la population la plus stable g~ographiquement entre 1982 et le moment de l'enqu&e. Comme tout 6chantillon localist, il sous-reprtsente les populations 6migrantes - seules des 6migrantes provisoires revenues sur la zone d'enqu&e sont prtsentes - mais il s'agit d'une zone oh le solde migratoire est de longue date positif, et o/1 la connaissance de la dynamique 6conomique locale permet prtcistment d'tclairer la logique des mouvements d'inunigration en relation avec les trajectoires sociates et tes cheminements d'insertion. U n e telle mise en contexte est ntcessairement beaucoup plus sommaire fi partir des enquEtes nationales.
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