Lett. Méd. Phys. Réadapt. (2013) 29:193-199 DOI 10.1007/s11659-013-0372-1
MISE AU POINT / UPDATE
DOSSIER
Rééducation et réinsertion des blessés de guerre : approche multidisciplinaire et intégrative du rôle 4 au « rôle 5 » Rehabilitation and reintegration of war wounded soldiers: multidisciplinary and integrative approach from echelon 4 to “echelon 5” J. Facione · D. Rogez · A. Stephan · L. Borrini · M. Thomas-Pohl · É. Lapeyre © Springer-Verlag France 2013
Résumé Lorsqu’un militaire français est blessé dans une zone de conflit, une chaîne de soutien médicochirurgical est déployée ; d’abord avec les mesures d’urgence (rôle 1), puis avec le traitement chirurgical (rôles 2 et 3) ; enfin, le soldat est rapatrié vers un hôpital militaire sur le sol français (rôle 4). La médecine physique et de réadaptation (MPR) est le dernier maillon de la chaîne de soutien médical et le premier maillon de la réinsertion sociale et professionnelle. L’équipe de MPR, le militaire et sa famille travaillent ensemble pour offrir au militaire les meilleures chances de récupération et de retour à l’emploi au sein des forces. Dans le cadre de leur réadaptation, les militaires blessés bénéficient de soins et d’aides reposant sur une organisation historique née au décours des deux Guerres mondiales. Le droit à réparation est inscrit dans la Constitution depuis 1790. Ce droit se traduit concrètement aujourd’hui par diverses mesures visant à assurer la reconnaissance, la réparation et la réinsertion des blessés. Après une blessure sévère survenue au combat, les militaires peuvent compter sur le soutien de diverses organisations nationales qui offrent des mesures telles que la pension militaire d’invalidité, la reconversion professionnelle ou d’autres avantages sociaux. L’apparition de conflits asymétriques en Afghanistan et l’augmentation du nombre de blessés ont permis d’améliorer l’organisation en place. En 2011, la cellule de réadaptation et réinsertion des blessés en opération (C2RBO) a été créée, composée de médecins MPR, de psychiatres et de représentants de la cellule d’aide aux blessés qui unissent
J. Facione (*) · A. Stephan Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, service de médecine physique et de réadaptation, 27 avenue de Plantières, F-57077 Metz e-mail :
[email protected] D. Rogez · L. Borrini · M. Thomas-Pohl · É. Lapeyre Hôpital d’Instruction des Armées Percy, service de médecine physique et de réadaptation, 101 avenue Henri Barbusse, F-92140 Clamart
leurs compétences pour préparer le projet de réinsertion et faciliter le suivi du soldat à long terme. De plus, cette cellule permet de financer de nombreux projets au profit des militaires blessés. Cette approche résolument multidisciplinaire et intégrative met le soldat et sa famille au centre de l’attention de tous les acteurs médicosociaux et institutionnels. Le « rôle 5 » est né. Mots clés Blessés de guerre · Rééducation · Réinsertion Abstract When a French service member is wounded in a conflict area, a chain of medical and surgical support is deployed, first with emergency measures (echelon 1), then with the surgical treatment (echelons 2 and 3), and finally the service wounded is repatriated to a military hospital in France (echelon 4). The physical medicine and rehabilitation (PM&R) is the last link in the chain of medical support and the first link in the social and professional reintegration. The PM&R team, the service member and their families work together to provide to the service member the best chance of recovery and return to duty. As part of their rehabilitation, the injured receive care and support based on a historical organization born during the two World Wars. The right to restitution is written in the Constitution since 1790. This right is reflected in practice today by various measures to ensure the gratitude, the restitution and reintegration to the wounded. After a severe injury sustained in a conflict area, the military can count on the support of various national organizations that provide measures such as military disability pensions, retraining and other benefits. The emergence of asymmetrical conflicts in Afghanistan and the increasing number of wounded has improved the organization in place. In 2011, the rehabilitation and reintegration war wounded cell (C2RBO, cellule de réadaptation et réinsertion des blessés en opération) was created, consisting of physiatrists, psychiatrists and representatives of the Army wounded support unit who combine their skills to prepare and facilitate reintegration project monitoring long-term wounded. In addition,
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this cell can finance many projects for wounded service members. This multidisciplinary and integrative approach puts the wounded and his family at the center of attention of all medicosocial and institutional actors. The “echelon 5” is born. Keywords War wounded · Rehabilitation · Reintegration
Introduction La mission principale du service de santé des Armées (SSA) est d’améliorer la survie et la récupération fonctionnelle des militaires blessés en opérations. Pour ce faire, le SSA est capable de déployer une chaîne de soutien médicochirurgical composée de quatre niveaux ou « rôles ». Les trois premiers rôles interviennent en urgence, à proximité des zones de conflit. Dans un premier temps, tout est mis en œuvre pour garantir le pronostic vital du blessé. Secondairement, le blessé est rapatrié en France où les soins médicochirurgicaux sont poursuivis au rôle 4, dans un hôpital d’Instruction des Armées (Fig. 1) [1]. Parmi les spécialités médicales intervenant dans la prise en charge des militaires blessés au combat, la médecine physique et de réadaptation (MPR) joue un rôle déterminant, en amenant les militaires blessés à leur plus haut niveau de fonction. L’enjeu est de taille car les militaires constituent
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une population jeune et active, dont le souhait est avant tout de réintégrer au plus vite l’institution militaire. Les blessés pris en charge en MPR bénéficient d’une part d’une prise en charge rééducative, et d’autre part d’un accompagnement médicosocial en vue d’une réinsertion socioprofessionnelle. Ce dernier point est essentiel, il s’inscrit au-delà de la prise en charge médicochirurgicale définie en quatre rôles. Cette dimension nouvelle permet de proposer et de dégager le concept de « rôle 5 », dont l’objectif principal est de permettre au militaire blessé de retrouver son emploi antérieur dans les meilleures conditions, ou quand cela n’est pas possible, d’accompagner le retour à la vie civile (Fig. 2). La reconnaissance, la réparation et la réinsertion des blessés de guerre sont trois valeurs fondamentales, enracinées dans la tradition militaire, qui guident l’action médicosociale en faveur des blessés de guerre. Récemment, l’apparition d’un nouveau profil de blessé de guerre et l’augmentation du nombre de blessés liés au conflit en Afghanistan ont donné l’impulsion nécessaire à la création d’une approche véritablement multidisciplinaire et intégrative.
Les blessés de guerre Depuis la fin du XXe siècle, les conflits armés ont subi de profondes transformations. Les guerres sont devenues des conflits indirects, géographiquement limités, à distance des
Fig. 1 Chaîne de soutien médicochirurgical ? (Issu de http://m.defense.gouv.fr/sante/le-ssa-en-operation/chaine-sante/soutien-medicaloperationnel)
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La qualité des équipements de protection et du système de soutien santé ont permis de diminuer la mortalité [3]. Des blessés graves survivent avec des lésions aux conséquences fonctionnelles importantes. Une nouvelle typologie de victime de guerre est née. La médecine militaire n’avait encore jamais eu à traiter des patients aux blessures si complexes. Elle doit ainsi relever de nouveaux défis en matière de rééducation, de réadaptation, de réinsertion et de suivi au long cours de ces patients [4].
publique au sein des institutions militaires des forces de la coalition. Les victimes de brûlures sont également fréquentes : 5 à 10 % des blessés présentent des brûlures isolées ou associées à d’autres types de blessures (par explosion ou incendie secondaire à l’explosion) et sont souvent associées à des lésions d’inhalation. En raison du port d’équipements de protection et de vêtements ininflammables, les régions les plus touchées par les brûlures sont les mains et la face (respectivement 80 % et 77 % selon une étude réalisée en Irak sur trois ans). La plupart des blessés brûlés sont polytraumatisés [8]. Enfin le nombre de blessés médullaires parmi les soldats combattant en Irak et Afghanistan est très important et a augmenté par rapports aux conflits précédents. Cependant, le pourcentage de blessés médullaires parmi l’ensemble des victimes a diminué dans les conflits modernes. Ces lésions médullaires sont dues aux armes à feu, aux collisions de véhicules et aux explosions. Les blessés médullaires présentent très souvent des lésions associées telles qu’un traumatisme crânien ou des fractures [4]. Le blessé de guerre du XXIe siècle est un patient polytraumatisé avec un taux élevé de séquelles physiques, cognitives et psychologiques. Il nécessite une prise en charge globale et complexe [6,9].
« En faisant survivre des maladies et des blessures dont le pronostic était auparavant de la plus haute gravité, la thérapeutique moderne a donné de nouveaux objectifs à la médecine physique » (André Grossiord, 1965).
La médecine physique et de réadaptation militaire
Fig. 2 Chaîne de soutien santé du blessé de guerre, place de la MPR [1]
grandes nations impliquées, le plus souvent dans des forces internationales de maintien de la paix [2].
Les conflits récents se distinguent des précédents par la très grande proportion de blessures liées à une explosion (65 à 80 % des soldats blessés selon les études) [3]. Les plaies par balle ne représentent plus que 19 % des blessures. Les bombes conventionnelles et les IED (Improvised Explosive Devices) sont les deux sources principales d’explosion. Au cours d’une explosion, une onde de choc se propage, entraînant un effet blast qui est tout particulièrement à l’origine d’une nouvelle typologie de victime de guerre. Grâce aux équipements de protection individuelle, les lésions du thorax et de l’abdomen sont moins fréquentes. Désormais, les lésions survenues au combat se situent principalement aux membres inférieurs et supérieurs [5]. La prévalence des traumatismes crâniens légers (mild traumatic brain injury) chez les militaires victimes de blast s’élève malgré tout à 20 %. Les patients traumatisés crâniens légers présentent des troubles du comportement (impulsivité, agitation) et des déficits des fonctions cognitives touchant essentiellement la mémoire, l’attention et les fonctions exécutives [6]. Le traumatisme crânien est désormais considéré comme la signature de ces conflits modernes. Au total, près de 60 % des soldats blessés souffrent d’un traumatisme crânien léger à grave selon la littérature américaine [4,7]. Les séquelles cognitives constituent, au même titre que l’État de stress post-traumatique, un véritable problème de santé
L’équipe de MPR intervient dès que possible au niveau du rôle 4 (hôpital d’instruction des Armées). Elle constitue le dernier maillon de la chaîne médicochirurgicale mais aussi le premier maillon de la réinsertion sociale. Elle fait le lien entre ces deux types de prise en charge, en assurant la continuité entre les soins médicaux et les mesures sociales. En effet, la prise en charge du blessé se poursuit bien au-delà de son hospitalisation, dans un cinquième rôle médicosocial, guidé par trois valeurs fondamentales : la réparation, la réinsertion et la reconnaissance des militaires blessés au service de la patrie. De manière théorique et un peu artificielle, le déroulement de la prise en charge en MPR peut être découpé en deux phases distinctes :
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premièrement, la phase de rééducation, durant laquelle s’inscrit la continuité des soins entrepris initialement en réanimation et en chirurgie, et qui vise à redonner au patient l’autonomie suffisante pour les activités de la vie quotidienne, par le biais des fonctions élémentaires de locomotion, préhension et relation aux autres ; deuxièmement, une phase de réadaptation-réinsertion, consistant à mettre en place un projet médicosocial pour permettre aux patients de retrouver une place dans la société et si possible dans l’institution militaire.
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Rééducation Le temps « horizontal » de l’autonomisation et de la multidisciplinarité À ce stade, la prise en charge des blessés de guerre répond aux règles habituelles de la rééducation des patients polytraumatisés. Quelques lésions spécifiques des blessures de guerre peuvent toutefois être évoquées, telles que les pieds de mine et les pieds de pont (lésions sévères au niveau du pied occasionnées par une mine antipersonnel, respectivement directes pour le pied de mine et indirectes pour le pied de pont) (Fig. 3) ou les lésions de polycriblage (Fig. 4). De plus, les états de stress post-traumatique sont très fréquemment intriqués du fait des circonstances de la blessure. Ainsi, la prise en charge de ces patients polylésionnels et le plus souvent blessés physiques et psychiques nécessite tout particulièrement une collaboration médicochirurgicale
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spécialisée et parfaitement coordonnée avec l’action des psychiatres. L’équipe de MPR se doit d’être polyvalente afin d’assurer une prise en charge globale ne laissant aucune déficience de côté. Les moyens mis à disposition sont constamment adaptés aux besoins des militaires blessés. Ainsi, les prothèses dites de nouvelle génération permettent de recouvrer des capacités fonctionnelles plus proches des attentes élevées de ces patients jeunes et dynamiques. Un appartement thérapeutique a également été créé afin d’évaluer les capacités fonctionnelles en situation écologique et de valider les aides techniques et humaines proposées avant le retour au domicile.
Réadaptation et réinsertion socioprofessionnelle Le temps de la « verticalité » et de la collaboration avec les forces
Fig. 3 Lésions de pied de mine à gauche et pied de pont à droite (aspect radiographique)
La reconnaissance, la réparation et la réinsertion des blessés de guerre sont trois valeurs fondamentales, enracinées dans la tradition militaire qui guident l’action médicosociale en faveur des blessés de guerre. La reconnaissance de la Nation et la réparation financière sont des points clés, garant du bon déroulement du processus de réinsertion. La population militaire étant jeune et active, la question de la réinsertion professionnelle après une blessure grave est primordiale. Les autorités militaires ont apporté un soutien officiel en déclarant que tout devait être mis en œuvre afin que la majorité des blessés de guerre soient réintégrés dans leur emploi antérieur, même s’il existe des restrictions d’aptitude. De nouvelles dispositions ont donc récemment vu le jour pour optimiser le système en place. Cependant, l’Armée est un environnement exigeant où il est difficile de réinsérer des personnes porteuses de déficiences. Il est donc également primordial d’accompagner les blessés qui ne sont plus aptes à servir dans les forces armées.
Devenir professionnel du militaire blessé
Fig. 4 Lésions de polycriblage (section du nerf radial droit, fracture spiroïde tibiale droite)
L’instruction ministérielle n°2100/DEF/DCSSA/AST/AME définit les critères d’aptitude requis pour un emploi militaire donné. Dans certains cas, le militaire peut bénéficier d’une dérogation pour réintégrer son emploi antérieur. Il en va de la responsabilité technique et morale du médecin militaire qui doit prendre en compte les exigences de l’emploi et l’état de santé du militaire. L’octroi de la dérogation résulte ensuite d’une décision de commandement après avis du Conseil régional de Santé.
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En fonction du degré de déficiences résiduelles, du souhait du militaire et de son parcours professionnel, plusieurs situations peuvent se présenter :
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le militaire est de nouveau apte à son ancien emploi ; le militaire n’est plus apte à son ancien emploi mais peut bénéficier d’un changement de spécialité au sein des armées (emploi sédentaire par exemple) ; le militaire n’est plus apte à servir dans l’armée, il est donc réformé pour inaptitude médicale. Il faut envisager une réorientation professionnelle dans le milieu civil. La notion d’accident en service lui permet de bénéficier d’aides financières, de formations pour sa reconversion et éventuellement d’emplois réservés (sous condition) ; le militaire n’est plus capable de travailler dans le secteur civil, il est donc placé en invalidité. Dans certains cas, le militaire peut également être dépendant d’une tierce personne pour les activités de la vie quotidienne. Dans ce cas de figure, les démarches sociales permettent d’offrir au blessé un lieu de vie adapté, des aides humaines et techniques et de venir en aide à la famille.
Reconnaissance et réinsertion Depuis 1790, la reconnaissance de la patrie et le droit à réparation pour les blessés de guerre sont inscrits dans la Constitution. Ainsi, les soldats blessés au cours d’un conflit armé peuvent compter sur le soutien de différentes organisations nationales. La plupart d’entre elles ont été créées pour répondre au grand nombre de soldats blessés durant les deux Guerres mondiales. L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) C’est un établissement public créé durant la Première Guerre mondiale, sous tutelle du ministère de la Défense et géré en partenariat étroit avec les associations du monde combattant. Sa devise « Mémoire et Solidarité » rappelle l’engagement de cette institution pour la préservation de droits matériels et moraux du soldat. Une de ses missions consiste à attribuer des titres et cartes assurant la reconnaissance de la Nation aux personnes touchées par la guerre et ouvrant droit à certains avantages sociaux (cartes du combattant, carte d’invalidité, titre de reconnaissance de la Nation...). En parallèle, l’ONACVG gère les neuf écoles nationales de reconversion des anciens combattants et victimes de guerre dont la création remonte à 1916. En effet, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le nombre d’invalides de guerre a de graves répercussions économiques et sociales. L’État choisit alors une solution de réadaptation et réinsertion plutôt qu’une compensation purement financière. Ces écoles ont
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pour but de faciliter le retour au travail dans le monde civil à ceux qui ont donné un certain nombre d’années de leur vie au service de la Nation. Ainsi les soldats blessés qui ne peuvent pas retourner dans un emploi militaire sont orientés vers ces écoles pour être formés à un emploi adapté à leur handicap [10]. L’Institut National des Invalides (INI) à Paris C’est une institution historique créée sur décision de Louis XIV au XVIIe siècle au profit des soldats blessés. À cette époque, les soldats blessés bénéficiaient déjà d’une véritable réadaptation professionnelle. Ils pratiquaient des activités manuelles, tout en se formant aux métiers d’artisanat dans des ateliers de cordonnerie, de tissage ou de bonneterie installés aux Invalides [11]. Aujourd’hui, cette institution, toujours dédiée à servir les soldats blessés, est divisée en deux unités : un lieu de vie pour les soldats gravement blessés, incapables de rentrer à domicile (« service des pensionnaires »), et un service de MPR dédié à la rééducation en priorité des anciens combattants. En outre, cette institution a intégré récemment le centre d’étude et de recherche sur l’appareillage des handicapés (CERAH), dans lequel sont appareillés la majorité des patients militaires amputés dans le cadre d’un partenariat ancien. La cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT) La CABAT assure l’accompagnement des blessés en service et de leurs proches, dès la blessure survenue et sur le long terme. Cet organisme créé en 1993 est placé sous le commandement du gouverneur militaire de Paris. Sa mission est d’assurer le soutien des blessés et leur famille dans les démarches de réinsertion professionnelle et de répondre aux difficultés matérielles rencontrées du fait de la blessure ou de ses conséquences [12]. Même si plus de 80 % des blessés sont issus des rangs de l’armée de Terre, l’armée de l’Air et la Marine possèdent également un organisme similaire (la CABMF [Cellule d’aide aux blessés, malades et familles de l’Armée de l’Air] et la CABAM [Cellule d’aide aux blessés et d’assistance aux familles de la Marine]).
Réparation Moralement, la Nation se sent redevable envers les blessés de guerre et juridiquement, le droit à réparation des blessés est inscrit dans le Code des pensions militaires d’invalidité (PMI) créé en 1831 [13] : « La République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de guerre qui ont assuré le
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salut de la Patrie, s’incline devant eux et devant leur famille. Elle proclame et détermine, conformément aux dispositions du précédent Code, le droit à réparation… » (Article L.1). Plus précisément, le droit à une PMI est ouvert aux militaires pour blessures liées au service, lorsque les infirmités génèrent un certain taux d’invalidité. La Commission de réforme des PMI détermine le taux d’invalidité au vu de l’expertise médicale. Le montant de la pension dépend du degré d’invalidité et du grade du militaire. Les blessures sont indemnisables si le taux d’invalidité est supérieur à 10 %. En plus de la compensation financière, les textes de loi prévoient d’autres avantages pour les militaires bénéficiaires des PMI :
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les soins médicaux gratuits (article L.115) ; le statut de « grand invalide de guerre » lorsque le taux d’invalidité est supérieur à 85 %, qui ouvre droit à une majoration de la pension et à des avantages supplémentaires ; la majoration de la pension de 25 % pour les blessés nécessitant l’assistance permanente d’une tierce personne (article L.18) ; l’acquisition, la réparation et le remplacement de l’appareillage à titre gratuit (articles L.128 à L.131) ; l’accès, sous conditions, au centre de pensionnaires de l’Institut National des Invalides (cf. supra) qui offre un lieu de vie adapté aux blessés les plus graves (articles L.132 à L.136).
Nouvelles dispositions vers une approche intégrative : la C2RBO La volonté de réintégrer au sein des Armées le plus grand nombre de blessés de guerre a incité les équipes de MPR, de psychiatrie et les acteurs de l’action sociale à relever des défis de taille en matière de réinsertion professionnelle. Il a donc fallu améliorer l’organisation historique en place et développer une approche véritablement multidisciplinaire et intégrative, notamment par la création de la C2RBO (cellule de réadaptation et réinsertion des blessés en opération). La C2RBO est un concept original créé en 2011 à l’hôpital militaire Percy. Cette cellule regroupe des médecins de MPR, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des représentants de la CABAT. D’autres membres d’associations ou d’organisations telles que la Commission de réforme des pensions militaires d’invalidité (PMI) ou l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) peuvent y être invités. La C2RBO met en relation les différents acteurs de l’action médicosociale afin d’améliorer le système existant. Elle se réunit plusieurs fois par an et s’articule en deux parties. La première est consacrée à l’ordre du jour, l’état d’avancement des projets et des échanges de
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point de vue. La deuxième partie est consacrée au suivi de chaque patient. Elle a pour mission de bâtir le projet personnalisé de réinsertion professionnelle de chaque militaire et d’améliorer leur suivi au long cours. C’est un véritable outil thérapeutique de réadaptation et réinsertion, et de surcroît, un trait d’union entre le corps médical, les ressources humaines des forces armées et les associations dédiées au monde combattant. En outre, la C2RBO constitue une « force de proposition » pour le commandement via les cellules d’aide aux blessés pour les différents États-Majors et les équipes de MPR et psychiatrie pour la DCSSA. C’est ainsi qu’ont pu être mis à jour et améliorés les processus de réparation du dommage corporel, l’obtention du financement des prothèses dites de nouvelle génération pour les amputés en service (d’abord de manière temporaire et non institutionnelle, secondairement de manière définitive et par le biais de la caisse nationale militaire de Sécurité sociale) et la mise en place du « pack sportif » pour les militaires blessés. En effet, permettre la reprise sportive souhaitée par les blessés s’inscrit parfaitement dans la suite logique du réentraînement à l’effort débuté dès que possible lors de l’hospitalisation. Ainsi, ce « pack sportif » comprend la participation à des stages organisés par le Cercle sportif de l’Institution nationale des Invalides (CSINI) et/ou la CABAT sur une semaine (stages de ski, voile et surf), et aux Rencontres militaires blessures et sports (RMBS). C’est la C2RBO qui est à l’origine de la création de ces RMBS. L’objectif principal est de faire découvrir aux blessés leurs nouvelles capacités sportives. Les premières RMBS se sont tenues en avril 2012 durant dix jours. Une infirmière et un médecin de MPR, un kinésithérapeute qualifié en coaching sportif et deux orthoprothésistes étaient présents durant toute la session. Dix-sept participants ont pu expérimenter plus de dix sports adaptés à leur handicap, encadrés par des moniteurs handisport : basket-ball, escrime, badminton, tennis de table, tir au pistolet, tir à l’arc, aviron, plongée sous-marine, natation, course et vélo (Fig. 5). Le deuxième objectif est de créer des moments d’échanges privilégiés entre les blessés et le personnel soignant. Une large couverture médiatique de cet événement, ainsi que la présence de représentants des ministères civils et militaires, a contribué à mieux faire connaître l’existence des blessés de guerre et du handisport. À l’issue, un certain nombre de blessés ont pu investir un sport en
Fig. 5 Militaires blessés participant aux RMBS
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particulier et défendre brillamment les couleurs de l’armée française lors notamment de leur participation au War Wounded Trial aux États-Unis, challenge sportif entre soldats blessés de différentes nations. En 2013, les RMBS se sont déroulées sur deux sessions de dix jours et ont accueilli également des blessés psychiques. De plus, neuf patients lourdement handicapés ont participé à un stage de découverte, grâce à la mise en œuvre d’un solide soutien médical et logistique.
Conclusion Même si l’Armée subit régulièrement des réformes de modernisation, elle reste très attachée aux traditions et aux valeurs anciennes. Le devoir de reconnaissance, réparation et réinsertion des soldats blessés au service de la France est ancré dans la tradition militaire et inscrit dans la loi. L’Armée assume ce devoir en se donnant les moyens de disposer d’un service de santé performant, capable d’apporter aux soldats blessés les meilleures chances de survie et de récupération fonctionnelle. Avec la MPR, le SSA va au bout de cette démarche. Au-delà de la réparation de la lésion, une prise en charge globale et finalisée existe, grâce au versant de la réadaptation-réinsertion. En 2011, un concept original est né en France pour optimiser le système existant et améliorer la mise en œuvre des projets de réinsertion socioprofessionnelle des blessés de guerre : la C2RBO. Cette approche multidisciplinaire et intégrative met le soldat et sa famille au centre de l’attention de tous les acteurs médicosociaux et institutionnels qui unissent leurs efforts pour permettre le retour à l’emploi militaire aussi souvent que possible. Le « rôle 5 » est né. Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.
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