Rev. Méd. Périnat. (2014) 6:235-242 DOI 10.1007/s12611-014-0297-1
ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE
DOSSIER
Suivi des indicateurs de pratiques cliniques en périnatalité : l’exemple des hémorragies sévères du post-partum à partir de la base de données du réseau sentinelle AUDIPOG (1994–2009) AUDIPOG Sentinel Network Database and Perinatal Indicators Monitoring: What’s about Severe Postpartum Haemorrhage? C. Crenn-Hebert · M. Julien · V. Tessier · O. Rivière · J. Lansac · F. Vendittelli Reçu le 6 novembre 2014 ; accepté le 11 novembre 2014 © Lavoisier SAS 2014
Résumé Les recommandations pour la pratique clinique (RPC) restent d’actualité pour les hémorragies du postpartum (HPP), causes évitables de mortalité maternelle. La base de l’Association des utilisateurs de dossiers informatisés en pédiatrie, obstétrique et gynécologie (AUDIPOG) permet de suivre l’évolution de certains indicateurs en obstétrique liés aux HPP sévères entre 1994 et 2009. L’analyse de la base AUDIPOG permet d’observer que les HPP augmentent de C. Crenn-Hebert (*) · M. Julien · V. Tessier · O. Rivière · J. Lansac · F. Vendittelli Association des utilisateurs de dossiers informatisés en pédiatrie, obstétrique et gynécologie (AUDIPOG), faculté de médecine RTH Laennec, 8, rue Guillaume-Paradin, F-69008 Lyon, France e-mail :
[email protected] C. Crenn-Hebert Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Louis-Mourier, HUPNVS, AP–HP, 178, rue des Renouillers, F-92700 Colombes, France M. Julien · F. Vendittelli Réseau de santé périnatale d’Auvergne, fédération de gynécologie-obstétrique, hôpital Estaing, CHU de Clermont-Ferrand, 1, place Raymond-et-Lucie-Aubrac, F-63003 Clermont-Ferrand cedex 01, France Clermont université, université d’Auvergne, EA 4681, PEPRADE (Périnatalité, grossesse, environnement, pratiques médicales et développement), 28, place Henri-Dunant BP 38, F-63001 Clermont-Ferrand, France Pôle de gynécologie-obstétrique et biologie de la reproduction, hôpital Estaing, CHU de Clermont-Ferrand, 1, place Raymond-et-Lucie-Aubrac, F-63001 Clermont-Ferrand cedex 1, France V. Tessier DHU Risques et grossesse, maternité de Port-Royal, AP–HP, 53, avenue de l’Observatoire, F-75014 Paris, France
0,9 à 3,1 %, alors que dans la même période les pratiques recommandées évoluent dans un sens favorable. La pratique de la délivrance dirigée augmente de 6,2 à 66,2 %, celle des épisiotomies baisse en continu de 56 à 31,8 %, et si les césariennes ont augmenté de 14,2 à 19 %, on observe une stabilisation depuis 2004. La fiabilité de l’indicateur HPP sévères est discutée. Mots clés Indicateurs de pratique clinique · Base de données professionnelle · Morbimortalité maternelle · Hémorragie du post-partum · Délivrance dirigée Abstract Professional practice guidelines still focus on postpartum haemorrhage, as an evitable maternal death aetiology. With AUDIPOG Sentinel Network database we followed between 1994 and 2009, some clinical indicators: severe postpartum haemorrhage rate increasing from 0.9 to 3.1%, deliveries with active management of the third stage of labour rate increasing from 6.2 to 66.2%, episiotomy reduction rate decreasing from 56 to 31.8% and caesarean section rate from 14.2 to 19%. Reliability of severe postpartum haemorrhage as defined by blood loss only is debatable. Keywords Clinical practice indicator · Perinatal database · Maternal morbi-mortality · Postpartum haemorrhage · Active management of the third stage of labor
Introduction La France avait observé durant les années 1990–2000 un taux de décès maternels par hémorragie anténatale et postpartum environ deux fois supérieur à celui des autres pays développés. Ce constat a conduit le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) à élaborer des recommandations pour la pratique clinique (RPC)
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en 2004 concernant l’hémorragie du post-partum (HPP) [1]. De nouvelles recommandations feront l’objet de l’actualité des Journées 2014 du CNGOF [2]. L’HPP est définie par une perte sanguine supérieure ou égale à 500 ml dans les 24 heures suivant la naissance, seuil devant conduire à débuter une prise en charge. Son incidence était estimée à 50 pour 1 000 naissances alors que l’incidence d’une perte supérieure ou égale à 1 000 ml définissant l’HPP sévère était de 12 pour 1 000, d’après la synthèse des données anglo-saxonnes disponibles en 2004 [1]. La baisse de la mortalité maternelle est un des objectifs de la loi de santé publique de 2004 dont l’indicateur de suivi repose sur les données de l’Enquête nationale confidentielle sur la mortalité maternelle (ENCMM) [3]. Les derniers résultats publiés de l’ENCMM ont montré que les hémorragies obstétricales représentaient 18 % des 254 décès maternels étudiés sur la période 2007–2009. Le Comité national d’experts sur la mortalité maternelle retrouvait 81 % de soins « non optimaux » et 84 % d’évitabilité pour les 185 cas de décès analysés pour la même période. Les HPP constituent encore la cause principale du groupe des décès par hémorragies dont la fréquence a cependant baissé de 1,4 pour 100 000 naissances vivantes pour la période 2001–2006 à 0,9 pour 100 000 naissances entre 2007–2009 [4]. Les RPC du CNGOF de 2004 et l’Organisation mondiale de la santé en 2009 retenaient, parmi les mesures préventives des HPP, la pratique de la délivrance dirigée, définie par l’injection prophylactique d’un bolus d’ocytocine après la sortie de l’épaule de l’enfant [5,6]. L’association professionnelle Gynérisq, organisme agréé par la Haute Autorité de santé (HAS), a pour mission d’aider les professionnels de gynécologie-obstétrique dans leur gestion des risques. Elle a choisi le thème des HPP pour construire en 2012 sa première fiche « Gynerisq’ Attitudes » et a proposé la délivrance dirigée comme méthode préventive, au vu du retour d’expériences de la base de données de ses adhérents [7]. Des indicateurs nationaux ont été élaborés par le groupe de « Coordination pour la mesure de la performance et l’amélioration de la qualité » (COMPAQ) à la demande de la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) et de la HAS concernant les HPP pour le suivi des pratiques préventives ou pour la prise en charge. Ils sont utilisés pour un audit de dossiers qui doit concerner toutes les maternités en France tous les deux ans. La première publication des résultats de ces audits a eu lieu en 2012 [8]. La HAS encourage par ailleurs les maternités, dans le dernier « Guide Sécurité Naissance », à participer à la base de données de l’Association des utilisateurs de dossiers informatisés en pédiatrie, obstétrique et gynécologie (AUDIPOG) [9]. Collaborer à une base de données ou à un registre est une méthode d’analyse des pratiques professionnelles déjà validée antérieurement par la HAS [10].
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La base de données de l’AUDIPOG est régulièrement exploitée depuis la création du réseau Sentinelle en 1994. Elle permet le suivi d’indicateurs en périnatalité, notamment dans le cadre de l’analyse des pratiques professionnelles dans le but de valider individuellement son développement professionnel continu (DPC) pour des praticiens de la périnatalité, soit dans le cadre de la certification des établissements de santé par la HAS ou des audits des assureurs des hôpitaux (SHAM), et enfin pour l’évaluation interne ou externe des réseaux de santé en périnatalité [11–19]. Notre objectif principal est de décrire l’évolution des HPP sévères (> 1 000 ml) de 1994 à 2009. Les objectifs secondaires sont de décrire l’évolution dans la même période de certains indicateurs de pratique liés aux HPP qui font l’objet de RPC : pourcentage de délivrance dirigée, d’épisiotomies, de déclenchements du travail et de césariennes [20–22].
Matériel et méthode Matériel Depuis 1994, chaque année, des maternités, publiques ou privées, en provenance de toutes les régions de France, participent au réseau Sentinelle AUDIPOG. Au total, 239 maternités ont participé à ce réseau depuis son origine en 1994 jusqu’en 2009. La participation au réseau Sentinelle est fondée sur le volontariat. Le groupe de maternités participant au réseau Sentinelle a évolué au cours des années, pour des raisons diverses : en raison de l’inclusion de nouvelles maternités, de la décision collective de maternités au sein d’un réseau de santé régional d’adhérer au protocole d’évaluation des réseaux, de la restructuration du système informatique hospitalier ou de l’implantation d’un des logiciels labellisés conformes au cahier des charges de l’AUDIPOG, et enfin de la fermeture de certains établissements. Depuis 1994, les maternités publiques ou privées participantes adressent à la cellule de coordination AUDIPOG, de façon annuelle, les données individuelles anonymisées (300 variables minimum constituant le tronc commun d’indicateurs) concernant tous les accouchements survenus au cours d’une période de temps choisie par les maternités (accouchement ≥ 22 SA, ou à défaut du terme, avec naissance d’un enfant pesant ≥ 500 g). Il peut s’agir d’un export de la totalité de leurs données annuelles quand elles utilisent un dossier médical informatisé. À défaut et notamment quand elles utilisent un dossier papier, elles peuvent n’envoyer qu’une partie de leurs données (au minimum un mois d’activité) sur des formulaires papier ou utiliser le dossier d’évaluation disponible sur le site Internet AUDIPOG. Les données sélectionnées pour les indicateurs sont définies par un lexique commun. Cette méthode est décrite sur le site Internet de l’AUDIPOG (www.audipog.net) [23]. Les
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maternités reçoivent en retour une vérification de la qualité de leurs données et un tableau de bord d’indicateurs leur permettant de se comparer à l’ensemble de la base. Un exemple de tableau de bord est présenté (Fig. 1). Chaque fichier reçu, papier ou informatisé, est contrôlé, vérifié individuellement avant d’être inclus dans le fichier global. Au total, la base de données du réseau Sentinelle AUDIPOG comprend jusqu’en 2009, 482 165 grossesses : 7 770 en 1994, 7 123 en 1995, 8 179 en 1996, 9 626 en 1997, 8 218 en 1998, 14 671 en 1999, 16 661 en 2000, 25 866 en 2001, 32 593 en 2002, 45 694 en 2003, 31 129 en 2004, 40 277 en 2005, 54 546 en 2006, 48 420 en 2007, 60 961 en 2008, 70 431 en 2009. Pour respecter le mode d’échantillonnage habituel au sein du réseau (naissances survenues pendant un mois au cours de l’année étudiée), nous avons constitué pour chaque année un sous-échantillon ne comprenant que les naissances survenues pendant un mois par maternité (maternités des DOMTOM exclues), après tirage au sort d’un mois pour les maternités envoyant plus d’un mois de données par an. Notre étude porte donc sur 130 961 grossesses et 132 879 naissances de 1994 à 2009. Ces échantillons ont été constitués de la même façon depuis 1994 et ont déjà fait l’objet de publications [14,15,17,18]. Méthodes Du fait de la participation volontaire des maternités au réseau AUDIPOG, la distribution des maternités selon leur statut juridique et leur région diffère de celle de la France entière, ce qui nécessite d’en tenir compte dans l’analyse afin d’avoir une représentation nationale fiable. Les estimations sont donc fournies en appliquant une technique de standardisa-
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tion directe des taux permettant de respecter la distribution conjointe des accouchements en France selon la zone géographique et le type d’établissement. Le Tableau 1 indique la répartition des maternités participant au réseau Sentinelle de 1994 à 2009, selon leur zone géographique et le statut de leur établissement. Il est considéré ici trois statuts d’établissement : centre hospitalier universitaire (CHU), centre hospitalier général (CHG) et maternités privées ; et six zones géographiques réunissant chacune une ou plusieurs régions, afin d’équilibrer au mieux le nombre d’accouchements par zone géographique en France. La distribution de référence utilisée est la distribution des accouchements en France par zone géographique et type d’établissement, établie à partir de la statistique d’activité des établissements de santé (SAE 2010) [24]. Cette technique, utilisée depuis 1999, repose sur l’affectation d’un poids à chaque accouchement, de telle sorte que la distribution des accouchements par type d’établissement et zone géographique soit la même dans l’échantillon redressé que dans la France entière. Une partie des résultats de la base est accessible à tout public sur le site de l’AUDIPOG pour les principaux indicateurs (Fig. 2). Une interrogation plus poussée de la base de données selon des choix multicritères est possible en ligne, pour les adhérents à l’association. Stratégie d’analyse Les résultats sont donnés sous la forme de pourcentages standardisés qui ont été comparés par un test de tendance de Cochran-Armitage. Une valeur p≤0,05 a été considérée Tableau 1 Répartition des maternités membres AUDIPOG par zone géographique et statut de l’établissement en 1994– 2009 / Maternity ward distribution by geographic area and hospital type, in 1994–2009.
Nord Ouest Sud-Est Est-Centre Île-de-France DOM-TOMc Total
Fig. 1 Retour d’information à une maternité adhérente
CHUa
CHGb
Privé
Total
4 7 6 8 9 2 36
18 33 17 41 17 6 132
8 12 11 19 18 3 71
30 52 34 68 44 11 239
Source : Réseau Sentinelle des maternités AUDIPOG. Extraction et traitement : AUDIPOG. a Centre hospitalier universitaire. b Centre hospitalier général. c Départements et territoires d’outre-mer français.
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Fig. 2 Extrait du site Internet (http://www.AUDIPOG.net/tablostat.php)
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comme significative. L’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel SAS (version 9. SAS Institute Inc., Carry, NC, 2002– 2010).
Résultats Évolution du taux des HPP en France : une augmentation puis une tendance à la stabilisation On a noté une augmentation significative des HPP sévères (pertes sanguines de plus de 1 l) entre 1994–1995 et 2004– 2005 (0,9 à 2,3 %) [p ≤ 0,0001] comme publié antérieurement [16]. Entre 2006–2007 et 2008–2009, la fréquence des HPP sévères diminue de façon non significative (3,3 à 3,1 %) (Tableau 2).
Évolution du taux d’épisiotomies, du mode de début de travail et du mode d’accouchement : des modifications de pratique d’amplitude contrastée Le taux global d’épisiotomies a baissé entre 1994–1995 et 2004–2005 (56 à 41,2 %). Cette baisse a continué entre 2006–2007 et 2008–2009 (de 35,9 à 31,8 %) (Tableau 2). Le début de travail était déclenché dans 20,8 % des cas en 1994–1995 pour diminuer de façon significative à 19 % en 2006–2007 (p < 0,0001) et remonter légèrement ensuite à 19,6 % en 2008–2009 de façon non significative (Tableau 2). Le taux de césarienne a augmenté de façon significative entre 1994–1995 et 2000–2001 (14,2 à 17 %) puis 19,1 % en 2004–2005 pour se stabiliser ensuite à 19 % des accouchements en 2008–2009 (Tableau 2).
Discussion Prévention des HPP par la réalisation d’une délivrance dirigée : une pratique en expansion Le pourcentage de délivrance dirigée a significativement augmenté de 1994–1995 à 2004–2005 (6,2 à 30,6 %) [p ≤ 0,0001]. Entre 2006–2007 et 2008–2009, le pourcentage de délivrance dirigée a continué à augmenter, de façon significative, passant de 53,7 à 66,2 % (p ≤0,0001) (Tableau 2).
Il existe une évolution notable portant sur les HPP sévères On note en effet une augmentation significative des hémorragies sévères du post-partum immédiat (perte sanguine de plus de 1 l) sur l’ensemble de la période, à partir de la base des données AUDIPOG. Cette progression semble ralentir
Tableau 2 Évolution 1994–2009 des HPP sévères et des pratiques. Source base AUDIPOG / Severe postpartum haemorrhage and practices evolution 1994–2009. 1996–1997 (n = 17 267) Taux std (%)
1998–1999 (n = 17 640) Taux std (%)
2000–2001 (n = 18 662) Taux std (%)
2002–2003 (n = 17 218) Taux std (%)
2004–2005 (n = 14 635) Taux std (%)
2006–2007 (n = 14 413) Taux std (%)
2008–2009 p (n = 16 233) Taux std (%)
Hémorragie > 1 000 ml Non 99,1 Oui 0,9
99,1 0,9
98,8 1,2
97,6 2,4
96,8 3,2
97,7 2,3
96,7 3,3
96,9 3,1
< 0,0001
Délivrance dirigée Non Oui
93,8 6,2
92,7 7,3
95,1 4,9
82,3 17,7
73,9 26,1
69,4 30,6
46,3 53,7
33,8 66,2
< 0,0001
94,4 5,6
93,9 6,1
91,4 8,6
94,9 5,1
95,0 5,0
95,7 4,3
95,1 4,9
92,0 8,0
0,67
Non Oui Césariennes
79,2 20,8
80,1 19,9
79,4 20,6
79,9 20,1
79,9 20,1
81,6 18,4
81,0 19,0
80,4 19,6
< 0,0001
Non Oui Épisiotomie
85,8 14,2
85,0 15,0
83,8 16,2
83,0 17,0
81,9 18,1
80,9 19,1
81,0 19,0
81,0 19,0
< 0,0001
44,0 56,0
41,1 58,9
45,5 54,5
51,7 48,3
52,7 47,3
58,8 41,2
64,1 35,9
68,2 31,8
< 0,0001
1994–1995 (n = 14 893) Taux std (%)
Délivrance artificielle Non Oui Déclenchement
Non Oui
Source : Réseau Sentinelle des maternités AUDIPOG. Extraction et traitement : AUDIPOG.
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entre 2007 et 2009, ce qui est cohérent avec les données des derniers résultats publiés de l’ENCM portant sur la même période [4]. Cette augmentation peut être en rapport avec un meilleur report de l’information dans les dossiers médicaux portant sur la mesure du volume de sang perdu au cours de l’accouchement. À la suite des recommandations de 2004, un essai randomisé a concerné six réseaux périnatals en France. Il s’agissait d’interventions destinées à améliorer la reconnaissance de l’HPP par la mesure systématique des pertes sanguines, la rapidité de sa prise en charge selon des protocoles standardisés et favoriser l’évaluation des pratiques professionnelles. Bien que l’essai n’ait pas montré de différences nettes entre les groupes, il est possible que sa mise en place ait eu une influence pour renforcer l’impact des RPC même si une résistance des professionnels au changement de leurs pratiques malgré les preuves scientifiques était globalement constatée [25]. Cependant, la définition de l’HPP sévère a un peu évolué depuis 2004 pour être adaptée selon le mode d’accouchement, suivant l’évolution du seuil de reconnaissance avant d’engager une prise en charge : seuil de 500 ml pour la voie basse et de 1 000 ml pour une césarienne, élevant le seuil d’HPP sévère dans ce cas à 1 500 ml [26]. Le lexique des variables AUDIPOG a été mis à jour en 2008, le volume sanguin perdu est enregistré, et nous avons gardé pour cette étude la définition globale d’HPP>1 000 ml pour apprécier l’évolution des HPP sévères [27].
La première campagne nationale de la HAS pour la surveillance des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) concernant les pratiques d’HPP dans les dossiers d’accouchements par voie basse ou par césarienne montre que 80 % des dossiers de 2011 audités avaient la trace d’une injection prophylactique d’ocytocine [8]. Cependant, il existait une grande variation entre les établissements. La totalité des critères qualité pour la prévention de l’HPP étaient tracés dans trois dossiers sur dix. Par ailleurs, lors de l’audit des dossiers d’HPP sélectionnés à l’aide de la base PMSI, le diagnostic d’HPP était codé de façon erronée dans 5 %, et sur les dossiers validés, la totalité des critères de qualité pour la prise en charge de l’HPP étaient tracés dans quatre dossiers sur dix [8]. D’après la littérature revue pour les RPC de 2004, l’atonie utérine et les plaies sur césarienne ou traumatisme obstétrical figuraient parmi les étiologies les plus fréquentes des HPP, l’impact du déclenchement étant discuté [5]. Dans l’ENP 2010, la baisse des épisiotomies était également constatée (44 % pour les primipares et 14,3 % pour les multipares en 2010), alors que les pourcentages respectifs étaient en 1998 de 71,3 et 36,2 % [27]. Le taux de césariennes, également retrouvé comme facteur de risque d’HPP, n’a pas augmenté de façon significative entre 2003 et 2010 (20,2 à 20,8 % des naissances) [28].
Il existe une évolution notable portant sur certaines pratiques obstétricales
Les bonnes pratiques cliniques se développent sans que l’évolution des HPP sévères relevées dans les dossiers ne semble modifiée
Si le début de l’augmentation du recours à la délivrance dirigée était constaté comme précédant la RPC du CNGOF de 2004, le recours à une délivrance dirigée en cas de voie basse a fortement augmenté ensuite entre 2004–2005 et 2006 (30,6 vs 52,3 %), et il a continué à augmenter pour atteindre 66,2 % en 2008–2009. Cette pratique ne s’est pas accompagnée d’une augmentation significative parallèle de la fréquence des délivrances artificielles entre 2004–2005 et 2006–2007 (5,6 et 4,9 %) même si elle atteint 8 % en 2008–2009 [19]. On pourrait penser que les maternités volontaires pour participer au réseau sentinelle sont plus sensibles aux recommandations de bonne pratique et qu’un biais existe malgré la représentativité permise par la méthode des quotas pour la répartition selon statut et zone géographique. Or, cette évolution est constatée dans d’autres sources de données françaises. Les données de l’Enquête nationale périnatale (ENP 2010) ont aussi montré une augmentation totale de l’injection préventive d’ocytociques (83,2 %), le plus souvent avant la délivrance, ce qui correspond à la définition de la délivrance dirigée (IC 65 % : [63,6–66,5]) [28].
On note en effet une augmentation des hémorragies sévères du post-partum immédiat (perte sanguine de plus de 1 l). Si la pratique de la mesure des pertes sanguines semble importante pour améliorer la prise en charge des HPP, il existe une difficulté d’interprétation de la variation des résultats avec questionnement sur la fiabilité de la mesure. Certains auteurs ont proposé d’utiliser des critères de prise en charge, type transfusion, embolisation ou geste chirurgical, pour apprécier la gravité de l’HPP [25]. D’autres ont proposé d’utiliser l’indicateur de pratique préventive par la délivrance dirigée pour les comparaisons intermaternités [29]. Les données de l’étude épidémiologique multicentrique HERA [30] sont attendues pour connaître l’évolution de ces données en France depuis la précédente étude PITHAGORE [31]. L’étude épidémiologique de la morbidité maternelle sévère (EPIMOMS) a comporté la définition préalable des critères de l’hémorragie grave (perte sanguine supérieure ou égale à 1 500 ml ou transfusion de quatre culots globulaires ou plus). Les résultats de l’enquête multicentrique sont également attendus [32].
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Conclusion Les résultats sur l’évolution favorable des pratiques avec la délivrance dirigée, qui atteint 66 %, et pour l’épisiotomie, qui baisse à 31,8 %, sont cohérents avec d’autres données françaises. L’évolution du taux d’HPP sévères définies par une perte sanguine de plus de 1 l ne semble cependant pas modifiée dans les mêmes proportions. Des interrogations persistent sur la performance de cet indicateur d’état de santé en attente de progrès dans l’appréciation objective des pertes sanguines et de leur retentissement pour une patiente donnée.
Perspectives Les indicateurs choisis initialement par le réseau sentinelle de l’AUDIPOG pour constituer le tronc commun comportent des indicateurs utiles pour suivre l’effet des recommandations sur les pratiques professionnelles et sur certains résultats de santé maternelle. Ils ont été complétés par des critères nécessaires pour la traçabilité des indicateurs IPAQSS inclus dans les nouveaux dossiers. Cette description médicale assez fine est nécessaire pour interpréter les évolutions, et elle est plus riche que les descriptions fondées sur les seules données médicoéconomiques qui ne décrivent pas la totalité des actes de façon précise (épisiotomie, déclenchement, délivrance dirigée). Comment encourager les professionnels français à continuer à s’investir sur la seule base du volontariat dans la collecte et l’analyse de ces données, pourtant utiles pour leur aide à la décision et pour le partage de l’information ? L’informatisation des dossiers de maternité, susceptible d’intégrer aussi les demandes institutionnelles qui augmentent et d’automatiser les indicateurs nationaux IPAQSS, est permise par les spécifications de l’AUDIPOG à destination des éditeurs de logiciels métiers. Un soutien de cette informatisation cohérente et spécifique de l’obstétrique serait profitable à la fois aux usagers, aux professionnels et aux décideurs en santé publique. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Références 1. Subtil D, Sommé A, Ardiet E, Depret-Mosser S (2004) RPC hémorragies du post-partum : fréquences, conséquences en termes de santé et facteurs de risque avant l’accouchement. J Gynecol Obstet Biol Reprod 33(suppl 8):4S9–4S16 2. CNGOF (2014) Les 38es Journées nationales. http://www.cngofcongres.fr/synopsis-2014 consulté le 22/08/2014
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