Douleur analg. (2016) 29:88-93 DOI 10.1007/s11724-016-0459-y
MISE AU POINT / UPDATE
DOULEUR ET CÉSARIENNE
Anesthésie pour césarienne : les principales méthodes et leurs indications Anaesthesia for Caesarean Delivery: Main Methods and Indications M. Bonnin · B. Storme · A. Fournet-Fayard Reçu le 14 mai 2016 ; accepté le 18 mai 2016 © Lavoisier SAS 2016
Résumé Comme toute intervention chirurgicale, la césarienne nécessite la réalisation d’une anesthésie et l’application de sa réglementation. L’anesthésie locorégionale est la technique de référence pour les situations non urgentes et semi-urgentes et comporte la rachianesthésie, la rachianesthésie avec péridurale combinée et l’anesthésie péridurale. L’anesthésie générale, pourvoyeuse d’une forte morbimortalité maternelle, reste réservée aux situations bien particulières de la césarienne en urgence et aux contre-indications de l’anesthésie locorégionale. Mots clés Césarienne · Anesthésie générale · Rachianesthésie · Rachianesthésie avec péridurale combinée · Anesthésie péridurale Abstract As for any surgical procedure, caesarean delivery requires anaesthesia and the application of related regulations. Regional anaesthesia is the reference technique for elective or semi urgent caesarean delivery and includes spinal anaesthesia, combined spinal epidural anaesthesia and epidural anaesthesia. General anaesthesia may be associated with severe maternal morbidity and mortality and is mainly used for emergency caesarean delivery or when regional anaesthesia is contra-indicated. Keywords Caesarean delivery · General anaesthesia · Spinal anaesthesia · Combined spinal and epidural anaesthesia · Epidural anaesthesia
réglementation afférente [1,2]. Elle peut s’effectuer sous anesthésie générale (AG), dont les risques à présent bien connus n’en font pas la technique de choix, ou sous anesthésie locorégionale (ALR). Le développement de cette dernière technique d’anesthésie est à privilégier car vectrice d’une moindre morbimortalité maternelle.
La consultation d’anesthésie La pratique de l’anesthésie et donc celle de l’anesthésie pour césarienne en France est réglementée par le décret 94-1050 du 5 décembre 1994 [1]. La consultation pré-anesthésique est obligatoire pour les actes programmés (Article D.712-40) et a lieu dans les jours précédant l’intervention (Article D.712-41) [1]. Si un délai ≤ 1 mois entre la consultation et la réalisation de l’intervention est généralement adéquat pour les actes réglés, un délai plus long est autorisé et appliqué en obstétrique puisque cette consultation est le plus souvent réalisée au cours du 3e trimestre de grossesse [3,4]. Elle est effectuée par un anesthésiste-réanimateur et les résultats sont consignés dans un document écrit incluant les résultats des examens complémentaires et des éventuelles consultations spécialisées. La survenue de pathologies intercurrentes, notamment obstétricales, est notée dans le document consignant la consultation si possible. La consultation d’anesthésie ne se substitue pas à la visite pré-anesthésique qui doit être effectuée par un anesthésiste-réanimateur dans les heures précédant le moment prévu pour une intervention programmée.
Introduction La césarienne est une intervention chirurgicale à part entière. Elle doit donc être pratiquée sous anesthésie et se plier à la M. Bonnin (*) · B. Storme · A. Fournet-Fayard Anesthésie-réanimation, pôle Femme Enfant, hôpital Estaing, CHU Clermont-Ferrand, 1 place Lucie Aubrac, F-63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France e-mail :
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Généralités Les mesures décrites ci-dessous sont valables, quel que soit le type d’anesthésie réalisée. Après les mesures et les contrôles d’identitovigilance, le contrôle du taux de plaquettes et du bilan de coagulation prescrits en fonction des données anamnestiques et cliniques, un groupage sanguin et la recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) doivent être
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systématiques [5]. Dans tous les cas, la patiente est informée du risque transfusionnel. La prémédication anxiolytique sera éventuellement administrée à la demande de la parturiente, mais que ce soit l’hydroxyzine ou une benzodiazépine, le passage de la barrière placentaire est notable. L’administration d’un antiacide non particulaire visant à augmenter le pH gastrique et donc à diminuer le risque de syndrome de Mendelson en cas d’inhalation est recommandée et systématique [6] : à ce jour, la ranitidine effervescente est la forme galénique la plus habituellement utilisée en France. Le monitorage comporte au minimum l’emploi d’un scope, d’un tensiomètre et d’un oxymètre de pouls. En raison à la fois du risque hémorragique et du coremplissage rapide associé à l’ALR une voie veineuse de bon calibre ≥ 18 G est mise en place. Deux voies veineuses peuvent être utiles en cas de risque hémorragique majeur. Le soluté liquidien habituel est le Ringer Lactate® avant l’extraction fœtale, les amidons n’ayant pas l’AMM chez la femme enceinte. La femme enceinte doit être placée en décubitus latéral gauche d’au moins 10° lorsqu’elle est allongée, afin de limiter la compression aortocave et son retentissement hémodynamique générés par le décubitus dorsal. Une position proclive de 30° peut être associée, notamment en cas de risque d’intubation difficile et/ou d’obésité [7]. L’antibioprophylaxie est systématique, de plus en plus souvent administrée avant l’incision chirurgicale plutôt qu’après le clampage du cordon. Elle permet une réduction significative du taux d’endométrite et la morbidité infectieuse maternelle globale, sans modification de la morbidité infectieuse néonatale [8]. La céfazoline 2 g ou la dalacine 600 mg en cas d’allergie par voie IV lente sont les molécules recommandées [9]. En période postopératoire, la surveillance en salle de réveil (dite salle de surveillance postinterventionnelle ou SSPI) est systématique comme après toute intervention effectuée sous anesthésie. Une durée minimale de 2 H est imposée par le contexte réglementaire obstétrical, incluant notamment la prévention et le dépistage de l’hémorragie du postpartum [10].
L’anesthésie générale (AG)
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nium, le rapport précédant en comptait sept parmi lesquels quatre chocs anaphylactiques et un cas de syndrome de Mendelson [12]. L’AG pour césarienne constitue donc un facteur de risque de mortalité maternelle, et sa pratique en situation d’urgence un sur-risque. Les agents anesthésiques recommandés pour la césarienne sous AG sont le thiopental comme hypnotique et le suxaméthonium (effets indésirables : anaphylaxie, hyperthermie maligne, hyperkaliémie) comme curare [13]. Ce sont des agents anesthésiques d’action rapide permettant un contrôle rapide et donc une protection des voies aériennes supérieures. Le suxaméthonium expose cependant au risque allergique. La grossesse altère les conditions d’intubation et modifie le score de Mallampatti [14]. Le risque d’intubation difficile est multiplié par 8 dans la population obstétricale et ce risque est encore augmenté chez la parturiente obèse ou en cas de prééclampsie. Le risque d’inhalation et de syndrome de Mendelson L’inhalation de liquide gastrique lors de l’AG chez la femme enceinte est favorisée par les modifications physiologiques de la grossesse, à la fois hormonales et mécaniques : baisse du tonus du sphincter inférieur de l’œsophage, baisse de la vidange gastrique, baisse de la motilité intestinale. Ces facteurs justifient l’administration orale systématique d’un antiacide type ranitidine effervescent avant l’induction anesthésique en utilisant une formulation galénique qui contient au moins 2400 mg de citrate, l’utilisation d’un hypnotique et d’un curare d’action rapide pour cette induction, et la pratique systématique de la manœuvre de Sellick [6,15]. Indications de l’AG pour césarienne Elles sont essentiellement constituées par les contreindications et les échecs de l’ALR : infection au point de ponction, troubles de l’hémostase, hypertension intracrânienne non équilibrée non dérivée, instabilité hémodynamique (notamment en contexte septique), hémorragie maternelle sévère. L’AG reste le type d’anesthésie recommandée en extrême urgence et lorsqu’aucune ALR n’est en place. Le refus de l’ALR par la parturiente constitue également une indication de l’AG.
Pourquoi est-elle moins utilisée aujourd’hui ? Pratique de l’AG pour césarienne Le dernier rapport de l’enquête PERINAT 2010 indique des taux de 5,8 % pour l’AG vs 94,2 % pour l’ALR en cas de césarienne [11]. Elle est donc devenue la technique d’anesthésie la moins fréquemment pratiquée pour la césarienne car pourvoyeuse d’une morbimortalité maternelle bien supérieure à l’ALR. Si le dernier rapport national de mortalité maternelle rapporte trois décès imputables à l’anesthésie dont un secondaire à un choc anaphylactique au suxamétho-
Une préoxygénation efficace est indispensable au vu des modifications respiratoires liées à la grossesse. Une préoxygénation efficace doit comporter trois à huit cycles ventilatoires mobilisant la capacité vitale à 100 % d’oxygène inspiré en situation d’urgence ; en dehors de l’urgence, un minimum de trois minutes en volume courant à 100 % d’oxygène inspiré doit permettre d’obtenir une fraction
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expirée d’oxygène supérieure ou égale à 90 %. La préoxygénation en aide inspiratoire avec pression expiratoire positive (PEEP) reste controversée en contexte obstétrical, notamment en cas d’obésité associée [16]. L’induction ne débute qu’une fois les chirurgiens habillés et installés, prêts à inciser. La séquence associe manœuvre de Sellick, injection de l’hypnotique, perte du réflexe ciliaire, injection du curare. Dès le début de l’administration intraveineuse des agents anesthésiques et jusqu’à la vérification auscultatoire du bon positionnement de la sonde d’intubation, la manœuvre de Sellick doit être maintenue et efficace [15]. L’hypnotique recommandé en l’absence de contre-indication reste le thiopental à la posologie de 5 à 7 mg.kg-1 du poids théorique pour limiter le retentissement hémodynamique. Après la perte du réflexe ciliaire, le curare est administré. Le suxaméthonium est le curare recommandé, en l’absence de contre-indication, à la posologie de 1 mg.kg-1 du poids actuel. Le rocuronium constitue l’alternative au suxaméthonium [17] en cas d’allergie avérée au suxaméthonium, de terrain allergique majeur avec antécédents d’accident peropératoire, de terrain atopique majeur, d’asthme décompensé, d’hyperkaliémie. Le rocuronium procure cependant de moins bonnes conditions d’intubation, un délai de curarisation plus long et une durée de curarisation prolongée. Il s’administre à la posologie de 1,2 mg.kg-1 et en cas de réversion urgente nécessaire, le sugammadex est administré à la posologie de 16 mg.kg-1 [18,19]. Le propofol peut quant à lui constituer une alternative au thiopental à la dose réduite de 2,5 mg.kg-1 pour en limiter les effets hémodynamiques dont l’hypotension artérielle. L’incision s’effectue après l’intubation et vérification du bon positionnement de la sonde d’intubation : c’est l’anesthésiste qui donne le feu vert. Un halogéné type sévoflurane ou desflurane à faible dose (0,75 MAC) est associé à un mélange O2/N2O 50/50 % en circuit ouvert avec passage en oxygène pur à l’hystérotomie. Le N2O est repris après l’extraction fœtale avec l’approfondissement de l’anesthésie. Les opiacés ne sont pas administrés à l’induction dans le cadre de l’induction en séquence rapide, sauf indication particulière où l’hypertension générée par l’intubation est délétère, et dans cette indication le rémifentanil est intéressant [19]. Le sufentanil reste cependant le morphinique le plus utilisé après l’extraction fœtale. L’entretien de la curarisation n’est pas systématique. Elle se fait sous couvert d’un monitorage de la curarisation et d’une antagonisation en fin d’intervention si nécessaire.
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rapidité d’installation et d’efficacité. Un matériel adapté avec les aiguilles « pointe crayon » permet de limiter le risque de céphalées postponction et de nombreux travaux ont permis de mieux adapter le contrôle de l’hypotension artérielle (hypoTA) induite. Les anesthésiques locaux (AL) administrés sont générateurs d’une hypoTA maternelle qui constitue l’effet indésirable majeur et constant de la RA en l’absence de mesures préventives : 50 à 90 % des cas pour un niveau sympathique en T4 en l’absence de prise en charge adaptée ; les nausées et vomissements associés viennent renforcer l’inconfort maternel. Cette hypoTA a un fort retentissement sur le bien-être fœtal par altération de la perfusion utéroplacentaire, et, selon sa durée et sa sévérité, on peut observer une acidose néonatale [20]. Les mesures préventives de l’hypotension post-RA comprennent tout d’abord la réalisation de la ponction en position assise, en tailleur, avec port d’une contention veineuse élastique par la parturiente. Il est recommandé d’associer un co-remplissage rapide par cristalloïdes 10 à 15 ml.kg-1 pendant la réalisation et l’installation de l’anesthésie [21]. Les deux agents vasopresseurs utilisés dans cette indication sont l’éphédrine et la phényléphrine ; si la noradrénaline a été étudiée récemment, elle n’est actuellement pas recommandée par manque de données. L’éphédrine s’avère peu efficace seule à faibles doses (<10 mg) tandis que des doses plus élevées exposent à une hypertension artérielle et à une acidose fœtale (>15-20 mg). La phényléphrine a donc été introduite comme vasopresseur de 1re intention dans les césariennes programmées. Elle peut être utilisée, soit en boli itératifs de 50 à 150 mcg (1 à 1,5 μg.kg-1) dès que la pression artérielle chute, soit en prophylactique dès l’injection intrarachidienne en association au coremplissage. Ngan Kee et al. recommandent de débuter une perfusion continue de phényléphrine et de l’adapter au cours de l’installation de l’analgésie [22]. La survenue d’une bradycardie pourrait alors traduire une baisse du débit cardiaque par mécanisme baroréflexe ; l’éphédrine peut alors être indiquée en seconde intention. L’emploi d’un mélange éphédrine/phényléphrine a également été proposé et pourrait trouver une indication dans la césarienne en urgence notamment. Indications de la RA pour césarienne
La rachianesthésie (RA)
Toute césarienne programmée, non urgente ou semi-urgente, et en l’absence de contre-indication, peut être réalisée sous RA. En cas de risque d’instabilité hémodynamique et/ou d’un geste opératoire potentiellement long, la rachianesthésie avec péridurale combinée sera privilégiée.
Effets hémodynamiques
Réalisation pratique de la RA
La RA est la technique d’anesthésie la plus utilisée pour la césarienne avec une supériorité sur la péridurale en termes de
Il s’agit de la technique de base dite « single shot ». On utilise des aiguilles atraumatiques à bout arrondi ou « pointe
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crayon » de calibre le plus fin possible afin de diminuer le risque de céphalées post-ponction sachant que l’aiguille doit être suffisamment rigide pour faciliter la ponction. Les aiguilles les plus couramment utilisées restent les 25 et 27 G avec un introducteur 22 G ; les 27 G exposent à un risque supérieur d’échec de ponction, tandis que le risque de céphalées est inférieur à 0,1 % [23,24]. L’utilisation d’un AL associé à un morphinique d’action courte et de morphine à faible dose permet dans la plupart des cas de réaliser une césarienne sous RA en toute sécurité et d’anticiper la douleur postopératoire. La réalisation d’une césarienne sous ALR requiert un niveau d’anesthésie allant des racines sacrées aux quatrièmes racines thoraciques pour que la patiente soit non douloureuse. Une femme enceinte à terme a besoin d’un volume d’AL inférieur à une femme non enceinte pour obtenir le même niveau d’anesthésie. La grossesse s’accompagne d’une diminution du volume du LCR et ceci est majoré en cas de grossesse multiple. Les principaux AL ayant l’AMM et utilisables en RA sont la bupivacaïne 5 mg.mL-1 hyperbare, la ropivacaïne et la levobupivacaïne à 5 mg.ml-1 isobares. L’AL le plus utilisé reste la bupivacaïne hyperbare. Ginosar et al. ont retrouvé une dose effective pour 50 % des patientes (DE 50) de la bupivacaïne à 6,2 mg et une DE 95 à 11 mg (les deux doses étant combinées avec 10 μg de fentanyl et 200 μg de morphine) [24]. Carvalho et al., avec les mêmes doses d’opiacés, retrouvent une DE 50 à 9,8 mg et une DE 95 à 15 mg, que la parturiente soit obèse ou non [25]. D’autres études ont cependant montré un besoin réduit d’AL intrathécal en cas d’obésité. Cependant, même si l’installation de l’anesthésie est correcte avec l’emploi d’une DE 50, l’anesthésie ne couvre parfois pas toute la durée de l’intervention. Une méta-analyse a comparé l’utilisation de bupivacaïne hyperbare et isobare et met en évidence une plus grande rapidité d’installation et un moins grand besoin de recours à l’AG et à la supplémentation avec la forme hyperbare [26]. Un autre travail étudie la séquence d’injection de 5 mg de bupivacaïne isobare suivie de 5 mg d’hyperbare dans l’objectif d’assurer un bloc moteur pour les dermatomes inférieurs et un bloc sensitif et sympathique moins haut [27]. Comparativement à 10 mg de bupivacaïne hyperbare, l’incidence de l’hypoTA est de 16 % vs 67 %, et l’utilisation d’éphédrine de 2 vs 20 mg. Il apparaît donc recommandé d’utiliser 8 à 10 mg de bupivacaïne hyperbare pour la RA « single shot » afin d’obtenir à la fois un niveau métamérique suffisant et une durée d’anesthésie adaptée. Le fentanyl et le sufentanil améliorent la qualité de l’anesthésie tout en diminuant la dose d’AL nécessaire et les effets indésirables dont l’hypoTA. On utilise classiquement 2,5 μg de sufentanil tandis qu’un travail rapporterait une même efficacité avec 1,5 μg avec moins de prurit ; cette dose de 1,5 μg de sufentanil serait équipotente à 5 μg de fentanyl [28]. L’adjonction de 100 μg de morphine garantit une analgésie post-
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opératoire efficace pour une durée de 24 H. Les morphiniques par voie intrathécale provoquent un prurit parfois sévère. Des doses titrées de naloxone ou de nalbuphine peuvent être proposées ; l’effet préventif et curatif de l’ondansétron reste controversé. La meilleure prévention reste l’emploi de la dose minimale efficace. La RA continue est la mise en place d’un cathéter sousarachnoïdien permettant une « RA titrée » [29]. La limite de son utilisation est essentiellement liée à la disponibilité du matériel. En effet, seuls des kits avec une aiguille de Tuohy de 17 à 21 G permettent l’insertion d’un cathéter de 22 à 24 G ou de kits avec aiguille spinale de 26 G permettent l’insertion d’un cathéter de 27 G extrêmement fines. Ces aiguilles de Tuohy exposent au risque de céphalées postbrèche dure mérienne, tandis que les aiguilles fines exposent aux difficultés techniques. Cette technique n’est pas recommandée en pratique courante pour la césarienne en dehors de situations particulières contre-indiquant à la fois l’AG et l’anesthésie péridurale.
Rachianesthésie péridurale combinée La rachianesthésie avec péridurale combinée (RPC) est de plus en plus utilisée car elle allie la rapidité et l’efficacité de la RA à la flexibilité de la péridurale, permettant un moindre retentissement hémodynamique maternel et donc un moindre retentissement fœtal. L’utilisation d’une faible dose d’AL par voie intrathécale est possible car la mise en place d’un cathéter dans l’espace péridural permet de compléter secondairement l’anesthésie si celle-ci est insuffisante. L’extension titrée de l’analgésie par l’injection d’un complément d’AL par voie péridurale, en général de la lidocaïne à 20 mg.mL-1, permet le maintien d’une bonne stabilité hémodynamique. La nature et la posologie des AL utilisés par voie intrathécale peuvent être modulés et adaptés à la situation obstétricale et à la pathologie maternelle associée [30].
Anesthésie péridurale (APD) Le large recours à l’analgésie péridurale obstétricale (APDO) durant le travail, atteignant environ 80 % des cas en France, explique la grande proportion des césariennes pratiquées sous anesthésie péridurale soit 36 % [11]. L’APD pour césarienne présente l’avantage d’entraîner moins d’épisodes hypotensifs maternels peropératoires que la RA et assure ainsi un meilleur statut néonatal [31]. La conversion d’une péridurale analgésique en péridurale chirurgicale n’est possible que si le délai entre la décision et l’extraction fœtale est supérieur à dix minutes en cas de césarienne en urgence. La césarienne semi-urgente ou non urgente est l’indication de choix de la conversion d’une APDO en APD chirurgicale
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selon les propriétés pharmacocinétiques de l’anesthésique local choisi. Les césariennes urgentes ne sont pas des contre-indications à l’extension du bloc péridural sous certaines conditions organisationnelles, toutefois l’utilisation du cathéter d’APDO reste plus délicate en raison du court délai et l’anesthésie générale peut rester nécessaire. Différents AL peuvent être utilisés avec le double objectif d’assurer une anesthésie chirurgicale d’installation rapide et d’avoir une efficacité suffisante pour toute la période peropératoire. La méta-analyse de Hillyard et al. regroupant 11 études randomisées incluant 779 patientes suggère que la lidocaïne 2 % adrénalinée +/- fentanyl procure un bloc anesthésique d’installation plus rapide vs ropivacaïne ou bupivacaïne/lévopubivacaïne avec un gain médian de 4,5 min [32]. Le volume total d’AL injecté se situe entre 15 à 20 mL et le délai d’installation ne dépend pas du bloc sensitif préalable [33]. L’adjonction de fentanyl (50 à 100 μg) ou de sufentanil (10 à 20 μg) à la solution d’AL diminuerait le délai d’installation du bloc chirurgical mais ne réduirait pas le besoin de complément analgésique peropératoire [32]. Ceci s’expliquerait par un effet de « saturation des récepteurs opioïdes » par l’utilisation de morphinomimétiques dans le mélange analgésique pour le travail obstétrical. L’analyse de l’incidence des nausées/vomissements peropératoires lors de l’adjonction péridurale de fentanyl révèle des résultats contradictoires principalement en raison du manque de puissance de ces études, mais toutes démontrent l’absence de modification des scores d’APGAR ou d’altération du pH au cordon du nouveau-né [34]. Les recommandations anglaises préconisent de procéder à la conversion de l’APDO en APD chirurgicale une fois la patiente installée et monitorée en salle opératoire afin de garantir la sécurité de la parturiente. En effet, plusieurs accidents pendant le transfert ont été décrits dans la littérature lors de la réinjection en salle de naissance : niveau sensitif >T2, injection intravasculaire, crise convulsive généralisée, voire arrêt cardiaque [35]. Pourtant, l’administration plus précoce de l’AL permet d’optimiser la période de transfert et de s’assurer que le bloc sensitif soit efficace au moment de l’incision, notamment en cas de césarienne en semi-urgence. Plusieurs enquêtes de pratiques professionnelles anglaises et scandinaves récentes révèlent que la majorité des anesthésistes (près de 70 %) effectuent l’extension de l’APDO en salle d’accouchement, même en l’absence de monitorage pendant le transport [35,36]. L’organisation géographique de la structure institutionnelle semble primordiale dans ce contexte obstétrical : le temps de transfert moyen entre le box d’accouchement et le bloc opératoire rapporté dans la littérature est inférieur à 5 min. La diminution du délai décisionextraction améliore le pronostic fœtal tout en respectant la balance bénéfice/risque favorable pour la mère. Le meilleur compromis serait de fractionner la dose totale d’AL en injectant un premier bolus (10 mL) en salle de naissance et de
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procéder à une injection complémentaire (5 à 10 mL) en salle de césarienne en fonction du niveau déjà obtenu et des paramètres hémodynamiques maternels. Cependant, cette stratégie dépend aussi du degré d’urgence qui peut conduire à une injection plus rapide. Malgré la pression exercée par la situation urgente, il faut toujours s’assurer que l’étendue et la profondeur du bloc soient compatibles avec la stimulation nociceptive chirurgicale : le but est d’obtenir un bloc compris entre T4 et S5 sans défaut d’anesthésie, asymétrie ni extension en damier. Trois techniques ont été décrites pour apprécier la qualité du bloc : la perte de la discrimination thermique, la perte de discrimination algique par piqûre légère, la perte du toucher léger. Après une anesthésie périmédullaire, le niveau supérieur du bloc induit est sensiblement plus haut en cas de test avec la perte du froid comparé à la perte du toucher léger. La méthode du toucher léger semble être la plus discriminative et la plus fiable pour prédire la qualité du bloc [37] : pour la césarienne, une perte du toucher léger à T5 avant l’incision correspondrait à une profondeur d’anesthésie suffisante pour réaliser l’intervention sans épisode douloureux. Néanmoins, l’insuffisance de la qualité du bloc peropératoire est possible et constitue une cause majeure d’insatisfaction maternelle en post-partum. Les facteurs prédictifs d’insuffisance ou d’échec de conversion ainsi que la gestion de l’échec d’extension de l’APDO seront décrits dans un autre chapitre. L’emploi de l’anesthésie péridurale comme technique inaugurale pour césarienne est réservée aux échecs de RA dans le cadre de la RPC, notamment chez la parturiente obèse. Elle n’est dans tous les cas utilisable que dans le cadre de la césarienne programmée. L’anesthésie est effectuée de novo par injection à travers le cathéter péridural qui vient d’être mis en place. Un volume suffisant de lidocaïne ou ropivacaïne est nécessaire afin d’obtenir un niveau métamérique suffisant. Un morphinique type fentanyl ou sufentanil est systématiquement associé, de même que de la morphine pour l’analgésie postopératoire. La clonidine peut être ajoutée afin de potentialiser l’AL et d’accélérer l’installation du bloc sensitivomoteur. Le délai d’installation de l’anesthésie et l’obtention du niveau métamérique adéquat sont plus longs en cas d’APD inaugurale qu’en cas de conversion d’une APDO en APD chirurgicale. La qualité de l’anesthésie est moindre également avec un risque de douleur peropératoire et de conversion en AG [38]. Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Références 1. Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville. Décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 relatif aux conditions techniques
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