Colon Rectum (2017) 11:152-158 DOI 10.1007/s11725-017-0727-x
DOSSIER THÉMATIQUE / THEMATIC FILE
MALADIE DE CROHN
Actualités thérapeutiques dans les MICI New Therapeutics in Inflammatory Bowel Diseases M. Serrero · J.-C. Grimaud · L. Peyrin-Biroulet © Lavoisier SAS 2017
Résumé Les anti-TNF sont utilisés depuis près de 20 ans dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) et en ont révolutionné la prise en charge. Les différentes molécules anti-TNF approuvées dans les MICI (en France : l’infliximab, l’adalimumab et le golimumab) ont représenté les seules nouveautés de l’arsenal thérapeutique jusqu’en 2014 où une nouvelle biothérapie agissant sur une voie très différente de celle du blocage du TNF a obtenu l’autorisation de mise sur le marché pour la maladie de Crohn et la RCH en échec de deux lignes d’anti-TNF. En effet, le védolizumab anticorps monoclonal anti-intégrine alpha-4-bêta-7 empêche spécifiquement les lymphocytes de gagner le système digestif. Malheureusement, depuis janvier 2017, ce traitement n’est plus remboursé en France dans la maladie de Crohn. Il faut également noter que d’autres antiintégrines sont en développement. Par ailleurs, depuis fin 2016, une nouvelle classe de biothérapie, l’ustekinumab, déjà utilisée dans le psoriasis et le rhumatisme psoriasique fait l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation dans la maladie de Crohn en échec des anti-TNF. Il s’agit d’un anticorps monoclonal visant à inhiber la sous-unité p40 commune aux interleukines (IL) 12 et 23 impliquées dans la réponse immunitaire. Il semble aussi que le blocage sélectif de l’IL23 (risankizumab) soit efficace dans la maladie de Crohn. Il y a également de petites molécules (orales) en cours de développement avec des résultats très prometteurs. Les trois principales familles probablement prochainement disponibles sont représentées par les inhibiteurs de Janus kinase (les anti-JAK de type tofacitinib et filgotinib), les modulateurs des récepteurs des sphingosines-1-phosphates (S1P) [ozanimod] ainsi que le mongersen, un anti-SMAD7 augmentant la production de TGF-bêta. Il faut aussi souligner la très récente disponibilité du budésonide MMX dans la
RCH légère à modérée. Enfin, des données s’accumulent sur l’efficacité et la sécurité d’emploi de la thérapie cellulaire pour le traitement des fistules anopérinéales associées à la maladie de Crohn, réfractaires au traitement conventionnel. Mots clés MICI · Nouvelles biothérapies · Petites molécules orales · Budesonide-MMX · Thérapie cellulaire
M. Serrero (*) · J.-C. Grimaud Service d’hépatogastroentérologie, CHU Nord à Marseille, chemin des Bourrely, F-13015 Marseille, France e-mail :
[email protected]
Abstract TNF blockers have been used for almost 20 years in inflammatory bowel diseases (IBDs) and have transformed their management. All approved molecules in IBDs (for France: infliximab, adalimumab and golimumab) were the only innovative therapeutics until 2014, when a novel biologic acting through a different pathway obtained marketing authorization for Crohn’s disease and ulcerative colitis after two failure of TNF blockers. Indeed, vedolizumab, a monoclonal antibody targeting Alpha 4 Beta 7 integrin, selectively blocks lymphocytes so that they do not reach gastrointestinal tract. Unfortunately, it is not reimbursed anymore in France since the beginning of 2017 in Crohn’s disease. Other integrin blockers are under development. Also, since 2016, a novel class of biologic, ustekinumab, already used in psoriasis and psoriatic arthritis, has been approved with restriction in Crohn’s disease after TNF blocker failure. It is a monoclonal antibody inhibiting a p40 subunit shared by interleukins 12 and 23, which are involved in immune response. It also seems that selective blockade of interleukin 23 (risankizumab) is efficacious in Crohn’s disease. Also, small molecules are under development with promising results. The three main classes likely to become available are JAK kinase inhibitors (tofacitinib and filgotinib), molecules acting on S1P receptors (ozanimod) and mongersen, an anti-SMAD7 that increases TGF beta production. Recent availability of MMX budesonide must me underlined for patients with mild to moderate ulcerative colitis. Last, data are accumulating regarding effectiveness and safety of cellular therapy in anoperineal fistula associated with Crohn’s disease.
L. Peyrin-Biroulet Service d’hépatogastroentérologie, CHU de Nancy, 1, allée de Morvan, F-54511 Vandœuvre-lès-Nancy, France
Keywords IBD · New biologics · Small molecules · Budesonide-MMX · Stem cell therapy
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Les cinq références essentielles 1. Vermeire S, O’Byrne S, Keir M, et al (2014) Etrolizumab as induction therapy for ulcerative colitis: a randomised, controlled, phase II trial. Lancet 384:309–18 2. Feagan BG, Sandborn WJ, Gasink C, et al (2016) Ustekinumab as induction and maintenance therapy for Crohn’s disease. N Engl J Med 375:1946–60 3. Feagan BG, Sandborn WJ, D’Haens G, et al (2017) Induction therapy with the selective interleukin-23 inhibitor risankizumab
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in patients with moderate-to-severe Crohn’s disease: a randomised, double-blind, placebo-controlled phase II study. Lancet 389:1699–709 4. Sandborn WJ, Su C, Sands BE, et al (2017) Tofacitinib as induction and maintenance therapy for ulcerative colitis. N Engl J Med 376:1723–36 5. Sandborn WJ, Feagan BG, Wolf DC, et al (2016) Ozanimod induction and maintenance treatment for ulcerative colitis. N Engl J Med 374:1754–62
Introduction
Nouvelles biothérapies
Dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), l’inflammation serait liée à une dérégulation de la réponse immunitaire cellulaire envers des antigènes bactériens du microbiote intestinal chez des patients prédisposés génétiquement. Il n’existe aujourd’hui malheureusement pas de solution curative avec promesse d’une guérison définitive. Les thérapeutiques actuelles visent alors à impacter sur l’histoire naturelle de ces maladies en évitant ou au moins ralentissant la destruction tissulaire. Par conséquent, les stratégies thérapeutiques ont évolué vers la nécessité d’obtenir des résultats plus stricts comme la rémission clinique et endoscopique pour pouvoir modifier l’évolution de ces maladies. Depuis l’apparition en pratique courante de l’infliximab, il y a 20 ans, qui a révolutionné la prise en charge des MICI, trois autres anti-TNF (l’adalimumab et le golimumab en France ainsi que le certolizumab aux ÉtatsUnis et dans d’autres pays d’Europe pour la maladie de Crohn) ont fait leur apparition sur le marché. En France, jusqu’en 2014, les anti-TNF ont représenté les seules biothérapies disponibles dans les MICI. Puis, le védolizumab anticorps monoclonal anti-intégrine alpha-4-bêta-7 agissant sur une voie très différente de celle du blocage du TNF a obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la maladie de Crohn et la RCH en échec de deux lignes d’anti-TNF ; et plus récemment, l’ustékinumab, visant à inhiber la sousunité p40 commune aux interleukines (IL) 12 et 23, a fait l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation dans la maladie de Crohn. Il faut aussi souligner la très récente disponibilité du budésonide MMX dans la RCH légère à modérée. Ces nouveaux traitements élargissent les options thérapeutiques mais compliquent les stratégies de prise en charge d’autant que de nouvelles petites molécules orales seront probablement bientôt disponibles ainsi que la thérapie cellulaire, notamment pour le traitement des fistules anopérinéales associées à la maladie de Crohn. L’objectif de cette revue est de faire une mise au point sur toutes ces actualités thérapeutiques.
D’après le consensus ECCO, les biothérapies sont actuellement réservées aux patients avec une MICI active modérée à sévère, résistants ou intolérants aux dérivés salicylés (pour la RCH), corticoïdes ou immunosuppresseurs. Ces biothérapies sont des anticorps monoclonaux d’administration parentérale exclusive (intraveineuse [i.v.] ou sous-cutanée [s.c.] selon les molécules). Le blocage du TNF alpha n’est désormais plus la seule cible des biothérapies. Deux autres classes de biothérapie ont fait leurs preuves dans le traitement des MICI : les anti-intégrines et les anti-IL12/IL23. Les différentes molécules disponibles avec leur posologie et voie d’administration sont résumées dans le Tableau 1. Anti-intégrines Le védolizumab ou Entyvio® a pour cible l’interaction entre les intégrines alpha4 beta7 et les molécules d’adhésion MadCAM-1. Contrairement au natalizumab anti-intégrine alpha4 non spécifique (utilisé dans la SEP en France et dans les MICI aux États-Unis), le védolizumab ne bloque que les lymphocytes à visée digestive et ORL permettant de s’affranchir du risque de LEMP (leuco-encéphalite multifocale progressive). Deux essais randomisés contrôlés contre placebo ont permis au védolizumab pour la RCH (GEMINI-1) et pour la maladie de Crohn (GEMINI-2) d’obtenir l’AMM en 2014. Malheureusement, depuis janvier 2017, ce traitement n’est plus remboursé dans la maladie de Crohn. L’étrolizumab est une autre anti-intégrine qui fait actuellement l’objet d’essais de phase III dans le Crohn et la RCH. Cette molécule est dirigée contre la sous-unité bêta-7 présente à la fois dans les intégrines alpha-4-bêta-7 mais aussi dans celles alpha E bêta-7, bloquant de façon plus large le trafic des lymphocytes digestifs. De ce fait, l’utilisation de cette molécule pourrait être plus efficace en pratique clinique, ce qui semble être confirmé par les données de l’étude de phase II sur l’étrolizumab où l’obtention d’une rémission à l’induction était observée dans 21 % des cas versus 14,5 % pour le
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Tableau 1 Différentes biothérapies disponibles en France pour les MICI et leurs caractéristiques Molécule
Type d’Ac
Cible
Voie Crohn d’adm
RCH
Dose d’induction
Schéma Dose d’induction entretien
Schéma entretien
Infliximab
Chimérique Humain Humain
TNFα
i.v.
x
x
5 mg/kg
S0, 2, 6
5 mg/kg
/8 semaines
TNFα TNFα
s.c. s.c.
x Pas d’étude
x x
160/80 mg 200/100 mg
S0, 2 S0, 2
/2 semaines /4 semaines
S0 ≤ 55 kg : 260 mg i.v. > 55 ≤ 85 kg : 390 mg i.v. > 85 kg : 520 mg i.v. 300 mg S0, 2, 6
40 mg < 80 kg : 50 mg > 80 kg : 100 mg 90 mg
Adalimumab Golimumab
Ustekinumab
Humanisé IL12/23 p40
i.v./s. c.
x
Protocole IMUNITI encours
Védolizumab
Humanisé Intégrines α4β7
i.v.
Déremboursé
x
300 mg
/8 semaines ou / 12 semaines
/8 semaines
adm : administration ; i.v. : intraveineuse ; s.c. : sous-cutanée
védolizumab [1]. L’abrilumab est également une nouvelle anti-intégrine alpha-4-bêta-7 comme le védolizumab, mais d’administration par voie sous-cutanée avec des résultats intéressants dans l’étude de phase IIb dans la RCH présentée à l’ECCO cette année. Anti-IL12/IL23 Bloquer la voie de l’IL12 est une autre stratégie pour traiter la maladie de Crohn. L’ustekinumab ou Stélara®, anticorps monoclonal visant à inhiber la sous-unité p40 commune aux IL12 et IL23 impliquées dans la réponse immunitaire, a récemment été approuvé dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour le traitement de la maladie de Crohn en échec des anti-TNF et initialement du védolizumab (avant que celui-ci ne perde son remboursement dans la maladie de Crohn). Les essais UNITI-1 et UNITI-2 ont montré une efficacité de ce traitement avec, à la semaine 6, près de 35 % de rémission pour les patients en échec des anti-TNF. Par ailleurs, ces essais ont montré la supériorité d’une induction par voie i.v. adaptée au poids puis suivie d’une phase de maintenance par des injections s.c. de 90 mg toutes les huit semaines [2]. Il existe par ailleurs une étude de phase III en cours (UNIFI) évaluant l’efficacité de ce traitement dans la RCH. Fondée sur les données rapportées dans le psoriasis et le rhumatisme psoriasique où l’ustekinumab était déjà utilisé, cette biothérapie semble mieux tolérée avec une efficacité plus durable sur le long terme en comparaison aux anti-TNF. Du fait de
son meilleur profil de tolérance, l’ustekinumab n’est pas contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque, de sclérose en plaques ou de lupus comme c’est le cas pour les anti-TNF. Cette molécule est également un traitement de choix en cas de psoriasis sévère induit par les anti-TNF. Il apparaît également que le blocage sélectif de l’IL23 (risankizumab) soit efficace dans la maladie de Crohn, comme cela a été démontré dans un récent essai contrôlé randomisé retrouvant à 12 semaines un taux de 31 % de rémission complète (versus 15 % pour le bras placebo) chez des patients en échec des anti-TNF, avec un bon profil de tolérance [3].
Thérapies orales en cours de développement Historiquement, les MICI ont été traitées avec de petites molécules comme les corticoïdes, les dérivés salicylés ainsi que les immunosuppresseurs comme l’azathioprine, la mercaptopurine et le méthotrexate. Jusqu’en 1998, date à laquelle le Remicade® a été prescrit dans cette indication, le traitement des MICI était fondé sur l’utilisation de petites molécules. Depuis, les nouvelles thérapeutiques approuvées ont été quasiment toutes représentées par des biothérapies, comme exposé dans le chapitre précédent. Cependant, dans les années à venir, de nouvelles petites molécules orales vont faire partie intégrante de l’arsenal thérapeutique pour nos patients atteints de maladie de Crohn ou de RCH. Par ailleurs, elles présentent comme avantage, en plus de celui non négligeable d’être d’administration orale, de ne pas
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présenter de risque d’immunogénicité et donc de perte de réponse comme cela est malheureusement observé avec les biothérapies. Les principales classes en cours d’étude, développées dans ce chapitre, sont les inhibiteurs de Janus kinase (les anti-JAK de type tofacitinib et filgotinib) utilisés initialement dans la polyarthrite rhumatoïde, les modulateurs des récepteurs des sphingosines-1-phosphate (S1P) [ozanimod] déjà prescrits dans la sclérose en plaques ainsi que le mongersen, un anti-SMAD7 augmentant la production de TGFbêta G. Tous ces nouveaux agents font l’objet d’études de phase III dans la maladie de Crohn et/ou la RCH comme résumé dans le Tableau 2. Anti-JAK Les trois Janus kinases — JAK1, JAK2 et JAK3 — enzymes, impliquées dans la production de cytokines inflammatoires, dont le TNF alpha, peuvent être inhibées selon différents degrés en fonction du type de molécule anti-JAK. Le tofacitinib est un anti-JAK non sélectif, il inhibe à la fois JAK1 et JAK3 et n’a quasiment pas d’effet sur JAK2. Ce traitement administré en deux prises quotidiennes de 10 mg a montré une efficacité dans la RCH modérée à sévère pour obtenir une rémission à la semaine 8 dans les études OCTAVE I et II. La cicatrisation muqueuse à la semaine 8 était observée chez un peu plus de 30 % des patients sous tofacitinib matin et soir versus 15 % chez les patients sous placebo. Les principaux effets indésirables étaient l’apparition de dyslipidémies et des élévations modérées de la créatinine sans conséquences cliniques. Les résultats de l’étude de maintien chez les patients répondeurs présentés cette année au congrès ECCO ont confirmé l’efficacité du tofacitinib à 10 mg (2/j) avec, à la semaine 52, un taux de 40 % de rémission complète soutenu versus 11 % pour le bras placebo. En termes de tolérance, en dehors des infections liées
Tableau 2 Principales petites molécules orales en cours de développement Molécule Anti-JAK Tofacitinib Filgotinib Upadacitinib Peficitinib Modulateurs S1P Ozanimod Etrasimod Anti-SMAD7 Mongersen
Crohn
au virus herpès-zona, les effets indésirables n’ont pas entraîné plus d’arrêts de traitement dans le groupe tofacitinib [4]. Il faut noter que les essais dans la maladie de Crohn n’ont pas mis en évidence de bénéfice de ce traitement en phase d’induction [5]. Le filgotinib, en revanche, qui est spécifique de l’inhibition de JAK1, s’avère efficace dans la maladie de Crohn. L’essai FITZROY de phase IIb a évalué l’efficacité et la sécurité d’emploi du filgotinib en une prise unique de 200 mg/j chez des patients naïfs ou non d’anti-TNF. La rémission clinique à la semaine 10 était significativement plus élevée dans le bras filgotinib, avec 47 % de rémission versus 23 % pour le placebo (p = 0,008) sans différence significative sur le nombre d’événements indésirables dans les deux groupes [6]. Il y a également en développement des anti-JAK spécifiques de JAK3 en attente de résultats de phase II dans la RCH. Modulateurs de S1P Les agonistes des récepteurs de S1P permettent une séquestration des lymphocytes activés dans les ganglions lymphatiques et réduisent ainsi leur circulation dans le tractus gastro-intestinal. Il existe comme pour les JAK kinases plusieurs sous-unités de récepteurs S1P de 1 à 5, avec des effets variables en fonction du sous-type régulé avec de nombreux effets secondaires en cas de régulation des sous-types 2 et 4 associés à des risques cardiovasculaires, pulmonaires et théoriques de cancer, d’où la nécessité de molécules sélectives. L’ozanimod, agoniste spécifique des sous-types 1 et 5 impliqués spécifiquement dans la régulation immune, a fait l’objet d’un essai de phase II contrôlé randomisé contre placebo dans la RCH modérée à sévère avec des résultats encourageants [7] ainsi que d’un essai de phase III actuellement en cours. Une autre molécule de la même famille, l’etrasimod est évalué dans un essai de phase II dans la RCH. Mongersen
RCH
Échec en phase IIb Phase III Phase II Pas d’étude Phase II Pas d’étude Pas d’étude Phase II
Pas d’étude Pas d’étude
Phase II Phase II en cours
Phase III
Pas d’étude (action iléocolique droite+++)
Il s’agit d’un oligonucléotide anti-SMAD7 qui favorise la réduction de l’inflammation par la promotion de la voie du TGF-bêta. En effet, la molécule SMAD7 est un inhibiteur endogène de la voie du TGF-bêta, en diminuant la production de SMAD7, le mongersen lève le frein sur le TGF-bêta qui exerce alors un effet anti-inflammatoire local. C’est un médicament pH-dépendant, administré par voie orale, qui se libère dans l’iléon distal avec une action locale et très peu de passage systémique résultant en une très bonne tolérance du médicament. Les premiers résultats d’efficacité dans une phase II préliminaire publiés dans le New England Journal of Medicine en 2015 [8] étaient très impressionnants (65 % de rémission clinique après deux semaines de traitement
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dans le bras 160 mg/j versus 10 % pour le placebo) mais ne comportaient pas de données endoscopiques. Une étude plus récente de phase IIb a confirmé l’efficacité de ce traitement avec, à la semaine 12, une rémission clinique obtenue chez 19 % des patients traités pendant huit semaines par du mongersen 160 mg/j associé à une baisse de 50 % du score endoscopique SES-CD chez 15 % des patients.
Budésonide (MMX Cortiment®) Les corticoïdes systémiques sont très efficaces pour réduire l’inflammation en cas de poussée de RCH mais ont de nombreux effets secondaires. Le budésonide est un corticoïde à action locale avec par conséquent beaucoup moins d’effets systémiques et en fait le traitement de premier choix en cas de maladie de Crohn iléale légère. En effet, le budésonide classique agit principalement au niveau iléocæcal et colique droit mais très peu au niveau du reste du côlon. Le budésonide MMX utilise la technologie Multi Matrix System permettant de délivrer le médicament tout le long du cadre colique. Le but de ce traitement étant de maintenir l’efficacité des corticoïdes sur l’ensemble du côlon tout en minimisant les effets secondaires systémiques. Les essais de phase III CORE-1 et CORE-2 évaluant ce traitement retrouvaient 17 % de rémission complète (avec des critères stricts, endoscopiques et cliniques) à la semaine 8 [9]. Les données plus récentes de l’étude CONTRIBUTE confirment l’intérêt de l’association de ce traitement aux dérivés salicylés en cas de réponse partielle aux dérivés salicylés seuls. Le budésonide MMX dans ces différents essais était très bien toléré avec un nombre d’effets secondaires similaire à celui du bras placebo. Ainsi, du fait de sa bonne tolérance et de son efficacité, ce traitement trouve parfaitement sa place en association aux dérivés salicylés en cas de réponse insuffisante à ces derniers, avant l’étape corticothérapie systémique. Ce traitement a obtenu récemment l’AMM en Europe, mais son prix en France est encore en négociation.
Thérapie cellulaire La thérapie cellulaire fondée sur les cellules souches est en plein essor, notamment depuis la découverte de cellules souches chez l’adulte, permettant d’éviter l’utilisation de cellules souches embryonnaires et ainsi de minimiser les problèmes éthiques et réglementaires. Les cellules souches mésenchymateuses, avec leur caractère multipotent et leur capacité à s’autorenouveler, ont d’abord été décrites dans la moelle osseuse puis plus récemment dans le tissu adipeux avec une plus grande facilité d’obtention après simple lipoaspiration. Leur multipotence leur permet de se différen-
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cier in vivo en cellules des lignées ostéoblastiques, chondrocytaires, adipocytaires et musculaires. Ces cellules souches mésenchymateuses, en plus de leurs effets directs permettant le remplacement cellulaire et le comblement tissulaire, semblent avoir un effet paracrine permettant de moduler leur environnement avec des propriétés anti-inflammatoires et immunomodulatrices. Ces propriétés limitent l’inflammation locale et protègent a priori contre le rejet de greffe. Cette thérapie a été évaluée depuis une dizaine d’années dans l’atteinte anopérinéale de la maladie de Crohn avec lésions persistantes et/ou récidivantes altérant considérablement la qualité de vie des patients malgré un traitement médicochirurgical optimal. Dans cette indication, l’injection locale dans les trajets fistuleux de cellules souches mésenchymateuses a des résultats très prometteurs en offrant un outil a priori sans risque et efficace comme cela a déjà été montré par près d’une dizaine études (Tableau 3). En effet, plus de 300 patients ont été inclus dans ces études, et aucun effet indésirable grave imputable au traitement cellulaire n’a été observé. Un autre intérêt décrit également par ces études est l’épargne sphinctérienne permise par ces techniques utilisant la thérapie cellulaire, autorisant la limitation du geste chirurgical et n’entraînant donc pas d’incontinence anale. La dernière grande étude publiée est l’essai ADMIRE sur plus de 200 patients [10] qui retrouvait 50 % de cicatrisation complète à la semaine 20 après une injection unique de cellules souches mésenchymateuses allogéniques dérivées du tissu adipeux versus 34 % pour le bras placebo (injection de sérum physiologique) avec un maintien soutenu de la rémission évaluée à la semaine 52 (75 % des patients en rémission à la semaine 24 n’ont pas présenté de récidive à la semaine 52). Pour clarifier la nomenclature, lorsqu’il est question de thérapie cellulaire dans la maladie de Crohn, il est important de distinguer le type de cellules souches utilisées (mésenchymateuses ou hématopoïétiques, autologues ou allogéniques), leur source et l’indication. Les études pionnières utilisant la thérapie cellulaire publiées dans la maladie de Crohn ont suggéré l’efficacité de l’administration générale de cellules souches hématopoïétiques (nécessitant alors un prétraitement avec mise en aplasie). Dans ce cas, la thérapie est fondée sur l’hypothèse d’un bénéfice à remplacer le système immunitaire « autoréactif » et ainsi à rétablir la tolérance envers le microbiote intestinal. Cependant, dans un récent essai de phase III (étude ASTIC) contrôlé randomisé multicentrique, les auteurs concluent à un rapport bénéfice/risque défavorable pour la greffe de cellules souches hématopoïétiques [11]. En revanche, la transplantation de cellules souches mésenchymateuses par voie générale semble plus prometteuse et bien tolérée lorsqu’il s’agit de maladie de Crohn « systémique » réfractaire avec un essai de phase II en cours. Ce sont alors les propriétés immunomodulatrices de ces cellules qui sont recherchées.
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Tableau 3 Caractéristiques et résultats des études évaluant la thérapie cellulaire pour le traitement des fistules anopérinéales de la maladie de Crohn Garcia-Olmo et al., 2005
Étude clinique de phase I
n=4
ASC autologues
Garcia-Olmo et al., 2009
Essai ouvert multicentrique de phase II Étude de phase I Essai rétrospectif (patients de l’étude de phase II de Garcia-Olmo) Essai de phase I avec injection de doses croissantes
n = 14
ASC autologues + colle biologique BMSC autologues ASC autologues + colle biologique
Ciccocioppo et al., 2011 Guadalajara et al., 2012
Cho et al., 2013
n = 10 n=5
n = 10
ASC autologues
Essai ouvert multicentrique n = 42 de phase II De La Portilla et al., 2013 Étude pilote ouverte n = 24 Ciccocioppo et al., 2015 Suivi à 5 ans, étude de phase I n = 10
ASC autologues ASC allogéniques BMSC autologues
Cho et al., 2013
Suivi à 1 an, étude de phase I
n = 10
ASC autologues
Molendijk et al., 2015
Étude de phase II contrôlée randomisée vs placebo
n = 21
BMSC allogéniques
Panes et al., 2016
Étude de phase III contrôlée randomisée vs placebo
n = 212
ASC allogéniques
Lee et al., 2013
Fermeture complète : 50 % des patients Cicatrisation des fistules : 71 vs 14 % Cicatrisation des fistules : 70 % 58 % de réponse soutenue à 3 ans Cicatrisation dans 50 % des cas chez les patients recevant > 2.107 cellules/ml Fermeture complète 67 % en ITT (82 % en PP) Fermeture complète : 56 % Réponse soutenue sans récidive : 37 % Réponse soutenue en ITT : 75 % Cicatrisation : 85 % pour le groupe recevant 3.10 7 cellules Réponse : 49 vs 34 %
ASC (adipose stem cells) : cellules souches mésenchymateuses dérivées du tissu adipeux ; BMSC (bone marrow stem cells) : cellules souches mésenchymateuses dérivées de la moelle osseuse ; ITT : en intention de traiter
Conclusion L’avènement des nouvelles biothérapies, de petites molécules orales et de la thérapie cellulaire dans les MICI viennent élargir l’arsenal thérapeutique, mais compliquent grandement les possibilités de stratégies thérapeutiques pour nos patients. Les données des essais en cours permettront de préciser la place de chacune de ces thérapeutiques, avec d’éventuelles associations de molécules agissant sur des voies distinctes de l’inflammation. Il faudra bien entendu prendre en compte la sécurité d’emploi de telles associations, notamment vis-à-vis des infections et des cancers, ainsi que les données de coût/efficacité et les attentes de nos patients. Liens d’intérêts : Laurent Peyrin-Biroulet (consultants : Merck, Abbvie, Janssen, Genentech, Mitsubishi, Ferring, Norgine, Tillots, Vifor, Therakos, Pharmacosmos, Pilège, BMS, UCB-Pharma, Hospira, Celltrion, Takeda, Biogaran, Boerhinger-Ingelheim, Lilly, Pfizer, HAC-Pharma, Index Pharmaceuticals, Amgen, Sandoz et Forward Pharma GmbH. Orateurs : Merck, Abbvie, Takeda, Janssen, Ferring,
Norgine, Tillots, Vifor, Therakos, Mitsubishi et HACpharma). Mélanie Serrero (Abbvie, Takeda, Janssen, Ferring, MSD).
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