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Editorial
Economie pour les telecommunications Ce numrro des Annales des T~l~communications tente de rendre compte de trois mouvements indissociables : celui des techniques, des rrglementations et celui de la throrie 6conomique. Pour ce faire, le parti-pris a 6t6 de rrunir les analyses des throriciens et les points de vue des 6conomistes du secteur. Plus prrcisrment, ce numrro est n6 de la collaboration entre des laboratoires rrputrs 0DEI, Laboratoire d'Economrtrie de l'rcole polytechnique, BETA,LE1) et les praticiens de France Trlrcom (CNET et DPS). Pour les premiers, cette drmarche commune est issue de leur volont6 de prendre le risque de confronter leurs analyses souvent hautement complexes h la rugueuse rralitr. Du c6t6 de France Trlrcom, elle provient de la prise de conscience de plus en plus nette que la rrflexion stratrgique dans un secteur en profonde mutation ne peut se construire que sur des 616ments de throde. Ce numrro est donc construit sur cette opposition de styles que nous esprrons fructueuse entre les praticiens et les th6oriciens. I1 vise ainsi un double public, d'ing6nieurs et de cadres des trlrcommunications d'une part, et d'rconomistes d'autre part. Le premier article (Turpin) comporte, en particulier, une introduction, ~ l'usage des trlrcommunicants, aux concepts 6conomiques qui sont mis en oeuvre dans la rrgulation des monopoles et de la concurrence. Cette introduction est suivie d'une analyse critique fondre sur les rralit6s techniques du secteur. Dans la m~me veine empirique, Joram-Roy-Turpin drcrivent succinctement ~ l'adresse des 6conomistes les techniques du futur r6seau int6gr6 ~t large bande, plus communrment appel6 autoroutes de l'information, puis s'interrogent sur les conditions. 6conomiques de son 6mergence. Mais les rrseaux et leur dynamique sont aussi susceptibles d'approches plus throriques fond6es sur la th6orie des jeux, dans ses drveloppements les plus rrcents, tels que les 6quilibres bayrsiens parfaits (Moreaux-Fraysse-Malin), solutions de jeux off les joueurs rrvisent leurs croyances sur leurs adversaires au fil du jeu, ou les jeux 6volutionnistes (Umbhauer), qui jettent un 6clairage nouveau sur la corvolution de rrseaux en comprtition. Enfin, les externalitrs de rrseau peuvent &re analysres ~ travers les phrnom~nes de percolation (Cohendet), off l'hrtrrog6n6it6 spatiale se rrv~le productrice de contingence et d'alratoire. Si ces articles trmoignent que la r6flexion sur la nature et la sprcificit6 des rrseaux est ~ poursuivre, le grand sujet d'actualit6 est aujourd'hui l'introduction de la concurrence dans un secteur si longtemps monopoliste. Mais la banni~re d6ployre de la concurrence ne doit pas masquer l'amplification de la cooprration. Celle-ci drcoule de la nouvelle fonction du rrseau comme place de march6 globale et instrument fondamental d'intermrdiation, fonction qui selon certains analystes enfantera une rrvolution 6conomique d'une ampleur comparable ~ celle initire par la monnaie. Pour cette raison en particulier, le libre jeu de la concurrence est insrparable d'une forte pression pour des regroupements structurels ou des cooprrations ponctuelles. Ceux-ci s'op6reront dans un cadre en pleine mutation car les fili~res de production s'allongent et s'entrecroisent avec la convergence des trlrcommunications, de l'audiovisuel et des trl6communications et la collision avec les secteurs aval que produit l'intermrdiation. Aussi 6tait-il nrcessaire de faire le point sur les m6canismes qui prrsident ~t l'intrgration verticale. Qui mieux que Jean Tirole pouvait aborder ce sujet h la lumi~re d'avancres throriques rrcentes (contrats incomplets) ? Quant aux agrrments plus ponctuels, ils sont examinrs par Llerena-Wolf. La cooprration entre les entreprises dans les industries de rrseau portera aussi sur les normes (Crampes-Wolkowicz) ainsi que sur les brevets et licences (Bousquet-Cremer-IvaldiWolkowicz). Ces derniers fournissent une simulation des effets 6conomiques des diffrrentes formes de contrats,de licence (forfaits, royalties .... ), tandis que les premiers examinent le dilemme entre normalisation et protection de l'innovation, dilemme qu'illustrent aujourd'hui des techniques aussi importantes que le GSM (norme europrenne de trl6phonie numrrique) ou I'ATM (base de la future commutation ~ large bande, et donc avec la fibre optique l'un des deux piliers des futures autoroutes de l'information). Enfin Ponssard et Sevy, s'appuyant sur une analyse subtile des comportements stratrgiques, drmontrent dans une veine nroschump6terienne qu'une concurrence plus intense r6duit l'innovation. Parce qu'elle peut ~tre trop active, produisant alors des consrquences nrfastes, ou au contraire tendre h son autodestruction, la concurrence doit ~tre organisre, dans les trlrcommunications plus qu'ail'leurs. Quant ~ la cooprration, elle ne doit pas drboucher sur la formation de cartels. Pour grrer la dialectique entre concurrence et coop6ration aux noeuds et interfaces essentiels du rrseau, un instrument tarifaire est aujourd'hui mis en avant, les charges d'accbs. S'appuyant sur la throrie des incitations ~ laquelle ils ont apport6 des contributions majeures, Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole drveloppent un module qui montre l'incapacit6 de ce seul levier ~ contr61er efficacement le syst~me, et condamnent la tendance actuelle de la rrglementation ~ ignorer les fondements tarifaires plus grnrraux de l'rconomie publique. Le service universel doit en particulier continuer ~tre assur6 ; mais le montant des compensations h offrir ~t l'oprrateur en charge de celui-ci par ses concurrents fait l'objet de vives discussions (Curien-Dognin). Pour Levasseur-Le Vu-Turpin, une vision dogmatique de l'interconnexion ferait des 6quipements majeurs du rrseau un bien public avec les paradoxes et inefficacitrs subsrquents ; elle freinerait consid6rablement la globalisation des rrseaux et la r6volution technique et 6conomique en cours. Mais la concurrence ne s'appuiera pas sur la seule interconnexion ; elle reposera aussi sur la diversification des infrastructures, qui pose le probl~me du contournement (by-pass). Curien-Rey-Jullienmontrent que les drfauts inhrrents ~ celui-ci peuvent ~tre limitrs par une tarification non linraire du rrseau public. Enfin, si les 6tudes prrcrdentes s'intrressent ~ l'optimalit6 en 6quilibre partiel, il est aussi nrcessaire de s'interroger de fa~on plus globale, comme le font Michel Gensollen et Antoine Laubie, sur l'impact macrorconomique de l'activit6 de t616communications, m~me s'il faut renoncer pour cela ~ une approche mod61is6e. R6sultat d'une cooprration aussi fructueuse qu'amicale, ce numrro m'a personnellement apport6 beaucoup de satisfaction et un peu d'appr~hension. Satisfaction intellectuelle ~ voir mises en perspectives 616gantes les contours parfois brouillrs d'un secteur en devenir et ~ apercevoir, en arri~re-plan des drveloppements throriques, les leviers des actions futures. Un peu d'appr6hension h l'examen des risques pris et h prendre, par l'entreprise comme par la collectivitr, dans l'exprrience historique en cours. Je souhaite au lecteur de cet ouvrage de n'rprouver que le premier de ces sentiments. Etienne TURPIN France Trlrcom-CNET, Service des 6tudes 6conomiques et technico-rconomiques ANN.TI~LI~COMMtrN.,50, n~ 2, 1995
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