MAURICE GLAYMANN
INITIATION
AU CALCUL NUMt~RIQUE
ET U S A G E D E S M A C H I N E S
~ CALCULER
Former de plus en plus de scientifiques, conduire le maximum d'individus comprendre et ~t utiliser la math6matique, constitue aujourd'hui un imp6ratif absolu pour route nation soucieuse de son avenir. Or, pour orienter la jeunesse vers les vocations scientifiques, il est primordial que la math6matique, science vivante et dynamique par excellence, soit enseign6e avec efficacit6. Et cependant, darts la plupart des pays, elle est encore enseign6e telle une langue morte, coup6e de ses applications les plus f6condes et trouvant en elle-m~me sa fin. En outre, les 616ves sont enferm6s dans des dogmes aust~res et souvent st6riles; l'enseignement traditionnel ne tient nullement compte de la sensibilit6 de l'enfant, ni de sa forme de pens6e et encore moins de sa puissance cr6atrice, il] est priv6 de toute libert6, il dolt souvent, de mani~re purement passive, apprendre avant m~me de comprendre. Dans de telles conditions, lil n'est gu6re ~tonnant que bien des enfants trouvent la math6matique 6trange: il leur faut appliquer des r~gles, des m6canismes, des th6or6mes qu'ils comprendront que bien plus tard, si toutefois ils acceptent d'attendre. Rares sont ceux qui trouvent la bou6e de sauvetage qui leur permettra de surnager; la majorit6 d'entre eux sombrent sans le moindre espoir de comprendre quoi que ce soit de la nature m~me des rnath6matiques .... I1 faut donc, si nous voulons renverser la vapeur, reconsid6rer dans son ensemble le probl~me de la math6matique et de sa p6dagogie. Le Colloque d'Utrecht pose pr6cis6ment le probl~me 'Comment enseigner les math6matiques afin qu'elles soient utiles?' L'enfant aime d6couvrir et il est bien connu que lorsqu'il a trouv6 par lui-m~me un r6sultat, il ne peut plus l'oublier. D'autre part, il se passionne pour les jeux et particuli6rement pour les jeux difficiles, si cependant les r~gles sont parfaitement d6finies. Nous pouvons doric penser que si l'enfant est plac6 face ~t des situations vari~es, riches et f~condes, il pourra petit/~ petit d6couvrir les concepts fondamentaux et saura utiliser avec fruit les notions importantes, car il aura eompris. Le probl6me essentiel est de mettre en 6vidence les bonnes situations, celles qui favorisent le d6veloppement de la pens6e de l'enfant, celles qui lui permettent d'agir. I1 faut abandonner les th6mes classiques qui se sont r6v616s st6riles et qui conduisent aux impasses que nous connaissons. Nous devons 118
Educational Studies in Mathematics
1 (1968) 118-125; 9 D. Reidel, Dordrecht- Holland
C A L C U L N U M E R I Q U E ET USAGE DES M A C H I N E S A C A L C U L E R
aller puiser dans la math6matique vivante et dans ses applications, les id6es nouvelles qui d6bouchent sur des concepts utiles et f6conds. Je me suis pour ma part pench6 sur le probl6me de l'apprentissage du Calcul Num6rique. A l'6re des ordinateurs, certains peuvent penser qu'il est peu important d'apprendre aux enfants ~t calculer, car une lois adultes, ils disposeront d'instruments si efficaces, qu'il sera inutile de savoir calculer. I1 n'en est rien. En effet, pour savoir utiliser un ordinateur dans les meilleures conditions, il faut conna~tre parfaitement l'art de calculer. I1 faut donc apprendre aux enfants ~ m6diter et leur fournir d6s que possible des machines pour ex6cuter leurs calculs, car comme le dit si bien Andr6 Revuz, "un calcul ne s'ex6cute pas, il se m6dite". Mais comment initier l'enfant au Calcul Num6rique et ~t l'usage des machines? Une recherche faite durant les deux dernibres ann6es, dans une vingtaine de classes, avec des enfants de 10 ~ 11 arts, nous a permis de mettre en 6vidence une premi6re approche de ce probl6me. Les calculs int6ressants sont bien souvent ceux qui exigent un grand hombre de calculs; mais, si nous proposons/t l'enfant de tels probl~mes, il sera sans doute d6courag6 et renoncera, sauf s'il dispose d'une machine ~t calcuter. Nous avons fourni aux enfants, r6partis en 6quipes de deux, des machines de bureau, et nous les avons dans un premier temps, livr6s ~t eux-m6mes. L'exp6rience a montr6 qu'il fallait consacrer deux ~t trois heures pour qu'its d6couvrent le fonctionnement de la machine. Durant cette p6riode, ils d6couvrent d'abord la multiplication; c'est en effet l'op6ration la plus naturelle qui puisse ~tre effectu6e avec une machine de bureau. Puis, ils d6couvrent l'addition et la soustraction. Cependant, il faut attendre que les enfants aient une maitrise totale de ces trois op6rations, avant qu'ils ne d6couvrent la division. Apr6s ce stade de la d6couverte de la machine, il faut passer au stade de l'utilisation: l'enfant doit se convaincre qu'il poss6de un v6ritable outil de travail; la machine qui 6tait jusqu'h pr6sent un jouet, va lui permettre de faire de nouvelles d6couvertes. Mais, cette prise de conscience ne peut se faire qu'~t deux conditions. (1) L'enfant doit r6aliser que la machine permet une v6ritable 6conomie de pens6e, et que sans son intervention la machine n'est rien. En effet, r6soudre un probl+me, c'est avant tout trouver un algorithme, puis ensuite, c'est effectuer des calculs. La plupart du temps cette seconde partie est fastidieuse, mais si 1'on dispose d'une machine, il est possible de porter tous ses efforts sur l'6tude de l'algorithme, de le m~diter, car c'est la machine qui effectuera les calculs .... Notons au passage, que si tant d'enfants sont hostiles aux math6matiques, c'est que pour eux, faire des math6matiques, c'est faire du calcul. Durant 119
MAURICE GLAYMANN
l'exp6rience, nous avons vu des enfants s'6panouir, se lib6rer; en effet, la machine a 6t6 pour eux une v6ritable r6v61ation: ils n'6taient plus esclaves des calculs, ils pouvaient enfin les ma~triser. (2) I1 ne faut jamais proposer un calcul ~t l'enfant dans le seul but de lui faire effectuer un calcul, ll est important que tout calcul soit motiv6; c'est toujours un probl6me r6el qui doit conduite ~ un calcul. Si l'enfant a un centre d'int6r~t, il ira jusqu'au bout de ses calculs, marne s'ils sont longs et difficiles, car il a un but. Des questions 6conomiques, statistiques, d6mographiques, des jeux peuvent souvent conduire ~t des probl6mes int6ressants. Le Calcul Num6rique joue un r61e important dans la formation de l'enfant. I1 d6veloppe en effet de pr6cieuses qualit6s intellectuelles: le gofit du travail bien fait, pr6cis et contrS16, et surtout, il 6veille l'esprit critique. Cependant, pour favoriser ces aptitudes, il faut d6s le d6but habituer l'enfant/t bien pr6senter ses calculs: avant de commencer un probl~me, il doit pr6parer une feuille de calculs, sur laquelle il portera tous ses r6sultats successifs. D'autre part, pour traduire un algorithme l'enfant pourra utiliser un organigramme; une telle activit6 d6veloppe la logique et l'esprit d'organisation. Notons encore, qu'un probl~me peut souvent ~tre abord6 de plusieurs mani~res diff6rentes; une discussion devra permettre de choisir la meilleure, soit celle qui minimise le volume des calculs, soit celle qui conduit au r6sultat le plus pr6cis. Enfin, il faut habituer l'enfant h 6valuer des ordres de grandeurs, pour avoir une id6e du r6sultat /t obtenir; au d6but, l'enfant est quelque peu dfrout6 par une telle d6marche, mais tr~s vite, il se rend compte de son int6rat et apprend par l~t-m~me ~t contr61er ses calculs~ Pour ce stade de l'utilisation de la machine et de l'apprentissage du Calcul Num6rique, j'ai r6dig6 des fiches de travail. Le maitre les distribue aux enfants et ceux-ci effectuent les travaux propos6s en 6quipe. Les enfants s'adaptent fort bien ~t cette situation: ils utilisent ~t tour de rSle la machine; l'enfant qui manipule est la plupart du temps observ6 par son co-6quipier qui lui signale ses erreurs 6ventuelles. D~s qu'une 6quipe a termin6 l'6tude d'une fiche, le maitre donne la suivante; il circule de groupe en groupe et conseille les 61~ves qui font appel ~t lui. J'ai demand6 aux maitres de ne pas accorder d'importance au temps que mettent les enfants /t r6soudre leurs problames, l'essentiel c'est qu'ils comprennent ce qu'ils font. Ces fiches mettent en relief un certain hombre de situations permettant ~t l'enfant de d6couvrir d'une part, le Calcul Num6rique et d'autre part, d'61argir son champ d'action et de connaissances. Certaines situations sont relativement simples, d'autres plus s6rieuses; pour ces derni~res, je me suis efforc6 de faire d'une fiche h l'autre des recoupements afin que le maitre s'assure que l'enfant a bien compris le concept ~t d6gager. L'utilisation des fiches prdsente bien des avantages: les enfants ne pro120
CALCUL NUMERIQUE ET USAGE DES MACHINES }k CALCULER gressent pas au m~me rythme; grftce aux fiches, les plus dou6s ne sont pas frein6s par les plus faibles et ceux-ci ne sont pas oblig6s de brfiler des 6tapes; ils se sentent bien plus libres que dans une classe traditionnelle; ils cherchent /t r6pondre aux questions qui sont pos6es. I1 n'y a plus d'enfants inactifs. I1 va de soi qu'une telle p6dagogie modifie enti~rement la relation maitre61~ves. Le maitre n'est plus ce personnage autoritaire qui sait tout et qui enseigne; c'est le conseiller, capable de guider en cas de difficult6, et en qui l'enfant fait confiance. Je ne connais rien de plus stimulant pour le maitre, que de lire sur le visage d'un enfant, sa satisfaction d'avoir trouv6 un r6sultat. Pour terminer, voici /t titre d'exemples, certains th~mes propos6s aux enfants. S~rie 1. Fiche B-3 Vous allez 6tudier dans cette fiche des suites de naturels. (1) Prenez par exemple, la suite des naturels pairs: 2, 4, 6, 8, 10 .... Le premier 616ment de cette suite est 2, le second est 4. Quel est le cinqui~me?, le dixi6me?, le cinquante-troisi~me? (2) Etudiez maintenant la suite des naturels suivants: 1, 8, 27, 64, 125, 216, ... Ces naturels n'ont pas 6t6 choisis de mani~re quelconque! Le premier
TABLE I
rang
liste des 616merits de la suite
1
1
2
8
diff6rences premieres
diff6rences secondes
diff6rences troisi~mes
7 12 6
19 3
27
4
64
5
125
6
216
18 6
37 24
6
61 30 91 7 8
9 10
121
MAURICE G L A Y M A N N
616ment de cette suite est le naturel 1, le deuxi~me est le naturel 8. Quel est le sixi~me? Quel est le septiame? Ce n'est pas facile, n'est-ce pas? A premiere vue, vous ne pensez pas pouvoir trouver les autres 616ments de cette suite. Pour y parvenir, vous allez dresser une table, appel6e table de diff6rences (Table I). l~tudiez cette table. Que repr6sentent les naturels qui se trouvent dans la colonne diff6rences premi6res? dans la colonne diff6rences secondes? etc .... En partant de la dernibre colonne, essayez de compt6ter les autres. Pouvezvous en d6duire maintenant le 7me 616ment de la suite? Le 8me? etc... S~rie 1. Fiche 11-4
(1) l~tudiez en utilisant une table de diff6rences, la suite dont voici les premiers 616ments: 1, 4, 9, 16, 25, 36, 49, ... Trouvez le dixi6me 616ment de cette suite. (2) l~tudiez de m~me la suite 1, 7, 22, 50, 95, ... Trouvez les trois 616ments suivants de cette suite. (3) Consid6rez la suite 1, 6, 15, 28, 45, 66 .... En construisant une table de diff6rences, dites si le naturel 211 est ou non 616ment de cette suite. Si oui, quel est son rang? Si non, entre quels 616ments cons6cutifs de cette suite se trouve-t-il? Marne question pour le naturel 276. (4) On laisse tomber une pierre de la Tour Eiffel. On constate qu'au bout d'une seconde, la pierre a parcouru 490 cm, qu'au bout de deux secondes, la pierre a parcouru 1960 cm, qu'au bout de trois secondes, la pierre a parcouru 4410cm, qu'au bout de quatre secondes, la pierre a parcouru 7840 cm, qu'au bout de cinq secondes, la pierre a parcouru 12250 cm. Quelle distance a-t-elle pareourue au bout de six secondes? Au bout de quelle dur6e, h une seconde pr6s par d6faut, la pierre atteint-elle le sol? (La tour Eiffel mesure 300 m6tres.) S6rie 2. Fiche A-2
(1) En utilisant votre machine, construisez la table de diff6rences relative ~t la liste des dfcimaux suivants: 1.9600 2.1025
1.9881 2.1316
2.0164 2.1609
2.0449 2.1904
2.0736 2.2201
(2) Un enfant distrait a remplac6 en recopiant la liste pr6c6dente 2.1025 par 2.1024. Construisez la table de diff6rences qu'il a obtenue. Pouvait-il s'apercevoir de son erreur? (3) Dans la liste suivante il y a une erreur. En utilisant une table de diff6rences essayez de Ia trouver et de la corriger. 64.1601 65.1249 122
64.3204 65.2864
64.4809 65.4481
64.6416 65.6100
64.8026 65.7721
64.9636 65.9344
CALCUL NUMERIQUE ET USAGE DES MACHINES A CALCULER
S d r i e 2. F i c h e 0 2
[ m a g i n e z un rectangle de largeur x et de l o n g u e u r y. L a mesure de son p6rim~tre est 8 cm, celle de son aire est 3.9324 c m 2. Darts cette fiche vous allez a p p r e n d r e ~ d6terminer x et y. (1) Compl6tez d ' a b o r d la T a b l e II. En d6duire que les d6cimaux 1.7 et 1.8 e n c a d r e n t x et que tes d6cimaux 2.2 et 2.3 e n c a d r e n t y. (2) C o m p l 6 t e z alors la T a b l e III. En d6duire les valeurs de x et de y. TABLE II x
y
1
3
1.1
2.9 2.8 2.7 2.6 2.5 2.4 2.3 2.2 2.1
1.2 1.3
1.4 1.5
1.6 1.7 1.8
1.9
xy
x +y
TABLE III x
y
1.71 1.72 1.73 1.74 1.75
2.29 2.28 2.27 2.26 2.25
xy
x +y
S d r i e 2. F i c h e C-3
R e p r e n e z le p r o b l ~ m e de la fiche pr6c6dente. O n s u p p o s e ici que la mesure du p6rim~tre est 20 c m e t celle de l'aire 12 c m 2. TABLE IV x
y
1 2 3 4 5
9 8 7 6 5
xy
x +y
123
MAURICE
GLAYMANN
(1) Compl6tez la Table IV. En d6duire un e n c a d r e m e n t / t une unit6 pr6s de x et de y. (2) Compl6tez la T a b l e V. En d6duire un e n c a d r e m e n t / t un dixi6me pr6s de x et de y. TABLE V x
y
1.1
8.9
1.2 1.3 1.4
8.8 8.7 8.6
1.5
8.5
xy
xq-y
(3) A l ' a i d e d ' u n e nouvelle table trouvez un e n c a d r e m e n t ~t un centi~me pros de x et de y. Si cela vous amuse, vous p o u v e z c o n t i n u e r . . . Sdrie 2. Fiche F-1
(1) Construisez Ia table des carr6s (v. TabIe VI). Que pouvez-vous dire de la TABLE VI n
/,/2
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 TABLE VII H2
1.0 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 1.6 1.7 1.8 1.9 124
CALCUL NUMI~RIQUE ET USAGE DES MACHINES it CALCULER racine carr6e de 2? En utilisant cette table d o n n e z un e n c a d r e m e n t / t une unit6 pr6s de 2 +. D o n n e z de m~me des e n c a d r e m e n t s fl une unit6 prbs de 3 + et de 5 +. (2) C o n s t r u i s e z m a i n t e n a n t la table des carr6s (v. T a b l e VII). D6terminez un e n c a d r e m e n t fi un dixi6me pr6s de 2 + et de 3 +. (3) Construisez une nouvelle table de carr6s vous p e r m e t t a n t de ddterm i n e r un e n c a d r e m e n t de 2 + fl un centi6me pr6s. D d t e r m i n e z ensuite un e n c a d r e m e n t de 2 +/t un milli6me pr~s. (4) En utilisant la marne m 6 t h o d e d6terminez des a p p r o x i m a t i o n s successires de 3 + et de 5 +.
Lyon BIBLIOGRAPHIE 1. Dieschbourg, R. : 'L'utilisation de la machine fl calculer dans l'enseignement secondaire', Mathematice et Paedagogia 30. 2. Fletcher, T. J. : Some Lessons in Mathematics. Cambridge; Apprentissage de la mathdmatique aujourd'hui. OCDL, 1966. 3. Glaymann, M.: 'Initiation au Calcul Num6rique', Bulletin de l'Association des Professeurs de Math6matiques 254. 4. Glaymann, M. et Jandot, P. : Apprentissage du Calcul Numdrique. OCDL, 1967. 5. Revuz, A.: 'Ils ne savent pas calculer', L'enseignement des Sciences. Tome I, 6, MarsAvril, 1960.
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