Rev. Méd. Périnat. (2010) 2:26-31 DOI 10.1007/s12611-009-0048-x
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La morbidité maternelle sévère : identifier et recenser les problèmes, agir pour les limiter Severe maternal morbidity: collecting the data, and working for such a reduction A. Fournié · C. Monrigal · F. Biquard · P. Gillard Reçu le 3 décembre 2009 ; accepté le 6 décembre 2009 © Springer-Verlag France 2010
Résumé L’étude des causes de la morbidité sévère conduit à identifier des actions destinées à améliorer la sécurité et la qualité des soins. Elle permet d’identifier des cas de soins suboptimaux, notamment dans les domaines des hémorragies de la délivrance et des hypertensions, sévères. L’établissement de recommandations nationales et de protocoles locaux, l’amélioration de la cohésion de l’équipe, la formation de chacun de ses membres permettent d’approcher les buts poursuivis. Une évaluation des actions est nécessaire. Mots clés Morbidité maternelle sévère · Near misses · Soins suboptimaux · Travail en équipe Abstract Confidential enquiries into severe maternal morbidity lead to identification of actions taken to implement security and adequacy of care, which is an institutional target. Identifying the cases of sub-optimal cares, mainly in the fields of post-partum hemorrhages and of severe hypertensions, collecting data, and analyzing the results lead to national guidelines and local protocols. Staff cohesion and initial and postgraduate training of the care team are important steps to conduct the actions and to reach goals. Audits to evaluate and refine actions have to be regularly performed. Keywords Maternal morbidity · Obstetrical near misses · Suboptimal cares · Workteam La morbidité maternelle sévère (MMS) devient un critère essentiel d’évaluation de la qualité des soins obstétricaux. A. Fournié (*) · F. Biquard · P. Gillard Pôle de gynécologie obstétrique, de médecine fœtale et de diagnostic prénatal, de médecine de la reproduction et d’orthogénie, (coord. : Pr Ph. Descamps), CHU d’Angers, F-49033 Angers cedex 09, France e-mail :
[email protected] C. Monrigal Département d’anesthésie, CHU d’Angers, F-49033 Angers cedex 09, France
La faible mortalité rend en effet difficile la formulation de conclusions et de conseils. En 1997–1999, le rapport triennal du Royaume-Uni incluait, pour la première fois, une étude de la MMS. L’étude de la MMS est actuellement effectuée en France dans des cadres locaux, régionaux [1] ou dans des recherches multicentriques et ciblées, comme par exemple sur les hémorragies du post-partum [2]. L’analyse de la MMS est indispensable à l’étude des risques liés à la grossesse, pour comprendre les facteurs conduisant à l’aggravation, et surtout proposer des actions correctrices [3]. Elle fait partie de la mise en place des démarches d’évaluation des pratiques. Au moins la moitié des MMS est en rapport avec des soins suboptimaux.
Définitions La MMS est la morbidité provenant de toute cause liée à la grossesse ou aggravée par elle ou de sa prise en charge. Cette définition exclut les événements survenant dans un contexte de grossesse : accident de la voie publique par exemple, qui est la morbidité associée à la grossesse. La forme la plus grave de la MMS est le near miss. Mantel et al. [4] considèrent comme présentant un near miss une femme enceinte ou une accouchée récente, gravement malade, et qui serait morte sans de la chance ou des soins appropriés. Pour comprendre les facteurs d’aggravation et proposer des actions correctrices, on doit distinguer les MMS des formes les plus graves, c’est-à-dire des near miss [5,6]. La durée retenue pour l’enregistrement des accidents dans le post-partum va souvent jusqu’à 42 ou 90 jours [5], mais elle pourrait aller jusqu’à six mois ou un an, ce qui permettrait, par exemple, de comptabiliser les cardiomyopathies du postpartum. Les conséquences ultérieures sur le potentiel reproductif des patientes pourraient aussi être considérées [7]. Mais l’identification de ces complications tardives est difficile, et leur recensement risque fort de manquer d’exhaustivité.
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Cadre réglementaire Actuellement, les textes réglementaires incitent à mettre en place, en France, une politique de gestion des risques médicaux, au sein d’une démarche de prévention des accidents évitables [8]. La mise en place d’une structure de recueil des MMS doit être envisagée au niveau d’un établissement, donc des services qui le composent, comme au niveau d’un réseau. Chaque hôpital, chaque service possèdent une cellule d’évaluation des événements indésirables. Au niveau d’un service, les modalités de mise en place et de fonctionnement de la cellule d’analyse des événements graves doivent être très finement étudiées, car les données ne peuvent pas ici être analysées de manière anonyme. Cette démarche nécessite une bonne connaissance théorique des principales urgences et des pathologies rares. Elle ne peut être correctement conduite que par ou qu’avec des praticiens à la fois expérimentés et en plein exercice professionnel. Cette analyse doit faire ressortir [8] :
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l’impact des éléments organisationnels, souvent propres à chaque établissement (architecture, schémas d’organisation interne, souvent multidisciplinaires, circuits de transmission) ; les défaillances humaines accidentelles ou récurrentes (difficultés relationnelles notamment) ; les solutions élaborées dans une démarche volontaire, assurant le maximum de chances d’adhésion.
Au sein d’un réseau, et à l’instigation de l’agence régionale d’hospitalisation, il est obligatoire de mettre en place des procédures adaptées. Pour analyser correctement les pratiques des établissements et les divergences existant d’un établissement à l’autre dans les prises en charge, l’analyse doit être effectuée au sein de lieux de concertation neutres, dans une ambiance non conflictuelle, de manière anonyme. Elle doit être un guide pour les actions de formation médicale continue. Le relevé des MMS est long et complexe, et leur exhaustivité, au niveau d’un réseau, ne peut être obtenue que par recoupements des données provenant de sources multiples de recueil, incluant les plateaux techniques (blocs obstétricaux et opératoires), les diverses unités de soins intensifs (USI), les établissements français du sang, etc.
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surveillance intensive. Le répertoire en est facile à partir des données administratives de l’admission. Mais l’hospitalisation maternelle ne permet pas une caractérisation suffisamment précise de l’événement grave. L’hospitalisation en USI ou de réanimation [6,9] dépend de l’organisation générale et locale des soins, qui conditionne la décision de transfert dans ces unités ; ainsi, définir la MMS par ce contexte va sous-estimer ou surestimer une pathologie en fonction de l’organisation des soins. De plus, une généralisation des résultats est difficile à réaliser, car les structures sont hétérogènes au sein même d’une région ou d’une nation. La création, au sein de services d’obstétrique, d’une USI (« lits chauds ») est un dispositif qui évite de transférer toutes les patientes en USI, unités dans lesquelles le personnel médical ne connaît pas toujours parfaitement les particularités liées à la physiopathologie de la grossesse et n’est pas habitué à surveiller le fœtus ; un transfert secondaire en USI est possible, notamment après l’accouchement. Des protocoles locaux doivent préciser le chemin des patientes [9], entre lits chauds et USI. Définition par pathologie, par défaillance d’organe ou de système La définition par pathologie, défaillance d’organe ou de système, doit compléter la précédente. Mantel et al. [4] distinguent neuf groupes de pathologies sources de MMS : défaillance cardiaque, vasculaire, infectieuse, respiratoire, rénale, hépatique, métabolique, de la coagulation ou neurologique. Ils ajoutent trois rubriques basées sur la prise en charge : admission en USI, hystérectomie en urgence, accidents d’anesthésie. Avec ce système, l’incidence est de 2,1 à 10,9 ‰ accouchements. Les avantages de l’étude par défaillance d’organes sont multiples [10] : on peut comptabiliser les pathologies sévères et leurs formes cliniques ; des comparaisons sont possibles, pourvu que les définitions soient standardisées [11] ; les problèmes de structure sont identifiables ; les audits et une bonne collecte des observations sont facilités. Cette approche permet de distinguer clairement les événements morbides réellement maternels. Les travaux utilisant ce type de définition montrent que la moitié des cas est en rapport avec des soins suboptimaux. Emploi de scores
Que recenser ? Identification des MMS par la structure de prise en charge Les MMS peuvent être définies par la structure de prise en charge : hospitalisation en USI ou hospitalisation en lits de
Des scores peuvent être établis en combinant plusieurs facteurs. Ils aident à distinguer les near misses, la MMS et la morbidité moins sévère [5,6]. Ces scores permettent aussi une étude de la continuité entre la morbidité simple, la morbidité sévère et la mortalité, afin d’obtenir une meilleure vision de la manière d’améliorer les soins aux femmes
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enceintes. Le score de Geller et al. [5,6], développé à l’University of Illinois Medical Center at Chicago, identifie d’abord trois groupes d’indicateurs : les pathologies, les événements morbides et les procédures et interventions. Le score proprement dit comprend cinq items, dont le poids respectif varie de 5 à 1. Ces items sont :
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la défaillance d’un organe ou d’un système (5 points) ; une admission en USI (4 points) ; la transfusion de plus de trois unités (3 points) ; une intubation prolongée, de plus de 12 heures (2 points) ; une intervention chirurgicale (1 point).
Dans l’étude pilote de Geller et al., l’effectif étudié comporte 37 morts, 33 patientes dont les scores sont supérieurs ou égaux à 8 (ce sont les near miss) et 101 patientes dont les scores sont inférieurs à 8 (ce sont les morbidités sévères). Les pathologies relevées dans ces trois groupes sont données par le Tableau 1. Dans la rubrique « autres pathologies », les auteurs regroupent drépanocytose, grossesse môlaire, pancréatite, accidents d’anesthésie. Dans ce travail, les auteurs estiment que 40,5 % des morts, 45,5 % des near miss et 16,7 % des cas de morbidité sévère auraient pu être prévenus. Au niveau d’un service, l’identification des pathologies et l’emploi de scores doivent être réalisés au fur et à mesure, avec révision de dossiers, selon une périodicité à définir. Au niveau d’un réseau Au niveau d’un groupe d’établissements, la méthode de collecte des données dépend de l’objectif choisi. Les relevés doivent être orientés pour répondre à deux approches :
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la première est l’approche épidémiologique, de type quantitatif ; elle remplit le premier objectif qui est l’estimation de l’incidence, utile à la mesure de l’importance de l’événement étudié, à l’analyse de son évolution dans le temps, et aux comparaisons interrégionales et internationales (sous réserve de définitions comparables) ;
la seconde approche est l’approche qualitative, de type audit : elle aide à comprendre les facteurs impliqués, et les facteurs liés aux soins prodigués en amont, dans une optique d’identification de sous-groupes à risque et d’orientation de stratégies de prévention. Ainsi, il est bien évident que la fréquence des near miss entrant dans un établissement est un bon témoin des soins réalisés en amont, alors que les near miss observés après l’admission témoignent des soins donnés après l’accueil de la patiente.
Comment recueillir les données ? Dans le service, le recueil des données doit dans l’idéal être réalisé au cas par cas, à partir d’une liste de pathologies ou de complications identifiées. Si cela n’est pas réalisé, la seule méthode pour renseigner la MMS est l’emploi des données du PMSI, ou d’un équivalent, plus ou moins adapté selon les cas. Une étude basée sur les données du PMSI peut concerner un centre ou quelques centres, mais les résultats obtenus ne peuvent alors être extrapolés ; ces études sont intéressantes pour étudier les facteurs de risque, pour améliorer les pratiques, mais ne permettent pas de connaître l’incidence d’une MMS dans une population. Au niveau d’une région, un registre peut être créé, mais l’exhaustivité des données est loin d’être acquise. La stratégie adoptée dans le réseau Poitou-Charentes [1] est intéressante : chaque établissement a un correspondant local ; il remplit une fiche spécifique de recueil ; le contrôle d’exhaustivité est réalisé par recoupement des données : cahiers d’accouchement, récupération par le DIM des codes CCAM et CIM correspondant à la MMS, ainsi que la liste des patientes transfusées fournie par l’Établissement français du sang. Pour les années 2006–2007, ce réseau recense 198 dossiers, soit une MMS de 0,56 %. Cette valeur est située dans la fourchette admise pour la MMS, qui est globalement de 0,4 à 1 % [9].
Tableau 1 Pathologies à l’origine des morts maternelles, des near misses et des morbidités maternelles sévères [7] Diagnostic
Cardiaque Hémorragie AVC Embolies HTA grossesse Infections Autres Rénale
Near miss : 33
Morts : 37
Morbidité sévère : 101
Nombre : 171 cas
Pourcentage
Nombre
Pourcentage
Nombre
Pourcentage
Nombre
18 44 7 11 58 21 7 5
21,6 18,9 16,2 16,2 10,8 8,1 8,1 0,0
8 7 6 6 4 3 3
6,1 39,4 3,0 0,0 18,2 21,2 9,1 3,0
2 13 1
7,9 23,8 0,0 5,0 47,5 10,9 1,0 4,0
8 24
6 7 3 1
5 48 11 1 4
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Trois causes principales de MMS Le recueil des données doit être particulièrement attentif dans les trois pathologies qui sont les trois premières causes de morts maternelles, pour lesquelles une action d’amélioration est possible ; ce sont les hémorragies du post-partum, les prééclampsies sévères et la maladie thromboembolique (MTE). Hémorragies du post-partum Les premiers efforts se sont portés en France sur les hémorragies du post-partum [8]. Les progrès se sont accélérés avec les recommandations pour une bonne pratique clinique (RPC) émises par le groupe de travail du Collège national des gynécologues–obstétriciens français (CNGOF), en 2004 [12]. Chaque service a mis en place des démarches d’amélioration des pratiques, et les efforts réalisés commencent à être évalués par les commissions obstétricales des réseaux. Prééclampsies sévères Elles représentent 10 à 20 % des morts maternelles [13], et leur complication la plus sévère est l’accident vasculaire cérébral dû à une poussée hypertensive. Les Anglo-saxons et les Néerlandais ont beaucoup évalué les pratiques concernant cette pathologie. Au Royaume-Uni, l’adoption du sulfate de magnésie a diminué l’incidence des MMS liées à cette pathologie [14], mais en 2000–2002, des soins substandards sont notés dans 46 % des cas [15], d’où de nouvelles recommandations éditées en mars 2006 [16]. Aux Pays-Bas, Schutte et al. [17] relèvent que pour la période 2000–2004, 20 % des morts maternelles sont en rapport avec des pathologies hypertensives, et, pour 71 % des cas, en rapport avec un accident vasculaire cérébral ; dans 96 % des cas, les soins étaient suboptimaux soit dans la surveillance de la grossesse, soit dans le transport des patientes, soit, enfin, dans la prise en charge hospitalière. Les recommandations françaises de 2000 [18] n’étaient pas très directives, car des différences de prise en charge existaient d’un établissement à l’autre, notamment quant aux médicaments et à leur posologie, et ces divergences sont parfois importantes : l’emploi du sulfate de magnésie était alors encore récusé par des irréductibles. MTE Des recommandations ont été faites séparément par la Sfar [19] et par le Club de périfœtologie [20]. Quoi qu’il en soit, plusieurs enquêtes réalisées sur le terrain montrent qu’elles ne sont pas toujours connues, et lorsqu’elles le sont, pas toujours respectées.
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L’évaluation de ce problème est difficile, car les accidents échappent aux sources de données obstétricales, et de nombreux cas non mortels ne sont pas recensés [21]. Leur recensement repose sur des données provenant des médecins généralistes, des services d’urgences et de médecine [22]. Évolution des facteurs de risque Plusieurs facteurs de risque ont une importance qui va en augmentant : ils doivent être identifiés et recensés. Ces facteurs sont une plus grande fréquence des obèses, des grossesses tardives, des grossesses multiples, un plus grand nombre de femmes présentant des pathologies rares, peu fréquentes auparavant (femmes greffées, cardiopathies complexes opérées)… L’incidence des prééclampsies augmente aux États-Unis [23]. La mortalité maternelle, qui est de 7/100 000 naissances à l’âge de 20–24 ans, passe à 35/100 000 chez les femmes de plus de 40 ans ; l’évolution de la MMS est comparable. Du fait de ces facteurs, beaucoup s’accordent à dire qu’il ne faut pas attendre de réduction spectaculaire des MMS, et que l’on risque d’en observer une stagnation, voire une augmentation [10].
Que faire pour limiter les MMS et la mortalité ? Toutes les études montrent qu’au moins 50 % des MMS sont liées à des soins suboptimaux, à des diagnostics tardifs ou à des traitements tardifs ou insuffisants. Trois types d’action peuvent améliorer cet état de fait : l’établissement de protocoles, une meilleure formation des intervenants, une meilleure formation et une meilleure cohésion de l’équipe [24]. Établissements de protocoles Ils doivent aider à identifier tôt les cas à risque de MMS, voire à les prévenir. Ils doivent être rédigés à partir des RPC, ou d’une revue des données pertinentes, et adaptés au service. Ils doivent être discutés, commentés et adoptés par tous les membres de l’équipe. Ils doivent être révisés et mis à jour régulièrement, tous les trois ans, ou plus rapidement si des éléments nouveaux significatifs apparaissent. Ils doivent être confortés par l’expérience. Ils doivent être écrits et être très rapidement accessibles, comporter un plan d’action, spécifiant les items à relever dans l’observation et la fréquence de ces relevés, et tenir compte des facteurs de comorbidité. Ils ne doivent pas être découverts dans l’urgence. Un protocole est un point de départ, définissant une prise en charge dans une situation théorique, et la clinique, l’expérience et les conditions locales du moment peuvent
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conduire à sortir du protocole, modifications qui doivent obligatoirement être toujours spécifiées et argumentées. L’expérience du terrain montre que dans certaines circonstances, le protocole n’est pas respecté, sans justification de la sortie du protocole. Dans la pratique, les recommandations des sociétés savantes sont le point de départ de beaucoup de protocoles. Ces recommandations reposent souvent sur des études dont le niveau de preuve est, pense-t-on, élevé. Mais ce niveau de preuve dit élevé est le fait d’études dont le profil est conditionné par les points de départ et par les protocoles préexistants dans les lieux d’exercice des experts ; l’effet Hawthorne peut intervenir dans les études statistiques. Les méta-analyses sont issues de données parfois hétérogènes dans certaines de leurs caractéristiques (caractéristiques qui ne font pas l’objet de l’étude, mais en polluent les conclusions) ; elles ne sont pas une panacée (certains ont dit qu’elles sont à la médecine ce que le politiquement correct est à la politique). Beaucoup de recommandations sont des avis d’experts. Si les RPC apportent un plus à un protocole déjà installé, ils sont bénéfiques. Si cela n’est pas le cas, il faut que les intervenants discutent très soigneusement les modifications, ce qui n’est pas simple ; pour des événements très rares, le bien fondé du changement n’apparaît pas à tous les participants, surtout aux plus jeunes qui n’ont pratiquement aucune expérience de la complication. La cohésion de l’équipe qui sera confrontée à la gestion des cas susceptibles d’évoluer vers une MMS [24] Dans la réalité, un grand nombre d’accidents paraissent liés à des problèmes de communication au sein des équipes, quand ce n’est pas à des désaccords. Beaucoup de travaux sur les MMS sont partis des techniques du Crew Resource Management, utilisées dans l’industrie aéronautique. Des simulations, des jeux de rôle, des mises en situation aident à définir les rôles respectifs. L’étude de cas théoriques en équipe est essentielle. Après un échec thérapeutique ou un accident, l’étude du cas en équipe et un débriefing sont nécessaires. L’équipe doit apprendre à prendre en charge la situation dans son ensemble, et les modalités de cette gestion doivent être formalisées. L’équipe vaut en grande partie par le bon niveau d’intégration de chaque membre. Le leader doit être parfaitement identifié. Le senior doit être alerté tôt. La répartition des tâches doit être bien précisée. Pour la prise en charge adaptée de certaines pathologies, un entraînement avec simulation est souhaitable [15]. L’anesthésiste [25,26] est totalement impliqué dans les soins aux grossesses pathologiques, dans la mise en place de la surveillance et des thérapeutiques. Il doit agir en collaboration étroite avec l’obstétricien senior. Il doit avoir participé à l’établissement des protocoles.
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Chacun doit connaître ses limites et ne doit pas hésiter à appeler quelqu’un de plus expérimenté. Un consultant en anesthésie obstétricale, comme un consultant en pathologies obstétricales, identifiés comme tels, sont très utiles. Formation des membres de l’équipe [27] Un des problèmes est la formation des sages-femmes en France. La formation aux urgences pour les sages-femmes doit être spécifique, académique si possible — comme c’est prévu dans certaines structures aux États-Unis ou en Grande-Bretagne (GB) — puis se poursuivre dans l’équipe, « sur le tas ». La rareté relative des cas de MMS fait qu’une rotation des personnes est nécessaire pour entretenir les compétences. Des stages en USI sont utiles dans l’acquisition des compétences théoriques et pratiques. La formation d’infirmières spécialisées est adaptée et peut facilement être complétée par l’enseignement de données obstétricales. La formation des obstétriciens pose des problèmes. Un enseignement théorique des urgences est prévu, en France, et sanctionné par un examen au terme de la deuxième année du cursus spécialisé. Les connaissances demandées sont légères ; les internes plus âgés ne se sentent plus concernés (puisqu’ils ont passé l’examen). Un enseignement national de médecine maternofœtale avait été envisagé, il y a une quinzaine d’années… La formation pratique est compromise par l’augmentation du nombre des internes et par la diminution de leur nombre de gardes. La motivation des plus jeunes à poursuivre leur formation dans le domaine des urgences obstétricales doit être soutenue. On peut craindre qu’un défaut de formation initiale soit à l’origine de carences difficiles à combler ensuite. En GB, existe un enseignement bien différencié, avec étude de cas, discutés par une équipe multidisciplinaire, à deux niveaux d’ancienneté. La formation des anesthésistes [25,26] est bien adaptée aux soins intensifs. Mais les MMS d’origine obstétricale ne représentent qu’un petit pourcentage des patientes admises en USI. Leur formation dans les urgences maternelles obstétricales est plus sommaire, et la formation théorique de base est donnée parfois par des médecins qui n’ont pas approfondi la physiopathologie des pathologies obstétricales et dont l’expérience est limitée. La formation des anesthésistes aux urgences obstétricales n’intègre pas partout la collaboration des obstétriciens seniors. Obstétriciens, anesthésistes, sages-femmes doivent participer à des réunions communes dédiées aux problèmes obstétricaux et aux problèmes de l’anesthésie obstétricale (comme les réunions du CARO). Les obstétriciens, les anesthésistes, les pédiatres et les sages-femmes participent aux réunions de la Société française de médecine périnatale, du Club de périfœtologie.
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Évaluation Enfin, une évaluation est indispensable. Elle doit être faite de manière régulière au niveau du service (une à deux fois par mois par exemple) ; elle peut être faite de manière annuelle ou biannuelle au niveau d’un réseau.
En guise de conclusion : à l’avenir
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Le recensement au niveau d’un service, quotidiennement, puis hebdomadairement ou mensuellement, avec critique des prises en charge, est nécessaire ; le recensement au niveau d’un réseau de soins permettra d’étudier des MMS bien définis et de proposer, entre autres choses, des améliorations aux protocoles ; un recensement au niveau national devrait aider les décideurs et permettre de définir de grandes options ; une part importante de responsabilité dans les accidents va être de plus en plus liée à de nouveaux facteurs : obésité, grossesses multiples, âge tardif des grossesses, nouvelles pathologies médicales ; la formation aux situations de MMS doit être améliorée ; dans le cadre de la démarche qualité, il ne faut pas oublier l’accouchement et le fœtus : on pourrait inclure dans les MMS les dossiers comportant un pH au cordon, par exemple, inférieur ou égal à 7,10 et les enfants présentant des signes d’encéphalopathie anoxo-ischémique (Sarnat stades I à III).
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